Amputé de la jambe droite il y a six ans, ce Rouennais de 33 ans s’est très vite révélé dans le paratriathlon avec des titres mondiaux et européens en 2017 et 2018. Il a maintenant en ligne de mire les Jeux paralympiques de Tokyo l’an prochain.
Alexis Hanquinquant doit se dépenser, quoi qu’il arrive. Il suit l’actualité sportive et pratique ou pratiquait avant son accident de travail en 2010 un grand nombre de disciplines. « Je suis un peu un touche-à-tout, même s’il y a des sports qui m’attiraient moins comme la gymnastique. Mais les sports de raquette et les sports collectifs, j’adore. Si je pouvais, je ferais du sport tous les jours. » Au départ basketteur (de 7 à 20 ans) « jusqu’à un niveau régional assez sympa », tennisman et badiste amateur à ses heures perdues, le natif d’Yvetot (Seine-Maritime) aux prédispositions pour les activités physiques (il fait 1,95 m, NDLR) s’est orienté vers le full-contact peu après 20 ans. « Pour canaliser mon énergie ça me faisait du bien de me lancer dans un sport de combat. » Il deviendra quatre ans plus tard champion de France des moins de 86 kg, quelques mois seulement avant son accident. « À l’époque, je travaillais dans une entreprise de maçonnerie… Un engin de chantier a basculé vers l’avant. Par réflexe, j’ai sorti la jambe pour rester aux commandes et en se rééquilibrant, le godet m’est retombé sur la jambe… »
Une nouvelle vie après l’amputation
S’en est suivi un gros parcours de soins avec une trentaine d’anesthésies générales. « Elle a été sauvée en trois ans, mais en septembre 2013, je demande à avoir recours à l’amputation parce qu’au quotidien, c’était devenu un fardeau. Et ce fut une renaissance : je suis beaucoup mieux amputé qu’avec cette jambe handicapée ! » Puis, il lui fallait à tout prix retrouver ce plaisir de suer, goûter à nouveau à l’effort physique. « C’était impératif ! J’avais emmagasiné quasiment 10 kg et beaucoup de frustration. » Le triathlon est tombé comme une évidence. « C’est l’un des sports les plus difficiles en termes d’investissement. Je me suis lancé ce défi. » Et Alexis court actuellement à près de 18 km/h sur 10 km. Pour la pratique du sport, le budget des prothèses s’élevait à environ 20 000€ non pris en charge… Une prothèse par discipline ! Même s’il nage sans, il lui en faut une pour accéder à la piscine. Il crée alors en 2014 l’association « Le sport du bon pied » pour collecter des fonds en organisant « des lotos, des concerts de gospel, des appels aux dons… » Et ça a porté ses fruits. Alexis Hanquinquant commence réellement la compétition en 2016 et sa progression est fulgurante avec des titres de champion du monde et d’Europe les deux années suivantes. Sportif de haut niveau depuis un an, Alexis reste toutefois salarié d’une entreprise à Rouen (Bouygues Bâtiment Grand Ouest, NDLR) avec laquelle il possède un contrat d’insertion professionnelle (CIP). « La Fédération et la Direction Régionale de la Jeunesse et des Sports remettent à mon employeur une enveloppe permettant de demander des détachements pour que je puisse m’entraîner au quotidien. J’ai donc la chance d’être triathlète à 98 % », savoure le stakhanoviste qui s’entraîne environ 30 heures par semaine souvent aux côtés de Nicolas Pouleau, son entraîneur à Rouen.
Les Jeux de Tokyo comme objectif ultime
« Je suis indirectement payé pour m’entraîner et j’effectue deux jours de travail par mois dans l’entreprise. C’est énorme, car je suis en CDI dans une entreprise dans laquelle j’ai un avenir après ma carrière sportive et ça m’assure aujourd’hui des revenus, une mutuelle », choses primordiales pour un père de deux enfants. Car bien que double champion du monde et d’Europe, Alexis Hanquinquant n’a pas touché un centime. Seules des médailles aux Jeux olympiques (ou paralympiques) récompensent financièrement les athlètes dans la discipline (50 000 € pour l’or, 20 000 € pour l’argent, 13 000 € pour le bronze). Arrivé un peu trop tard en 2015, il n’a pas pu participer aux Jeux de Rio où le paratriathlon intégrait pour la première fois les Jeux paralympiques. Même si les prothèses restent un budget important (environ 6 000€), Alexis Hanquinquant peut en porter sans qu’il ait à débourser de l’argent. En partenariat avec l’entreprise allemande Ottobock, il bénéficie de prêts de matériel. Mais il a toutefois à ses frais des parties en carbone à réajuster régulièrement en fonction de la fluctuation de son moignon. Des coûts à hauteur de 1 500€. « Je les fais refaire environ deux fois par an. » Il est également en partenariat avec des entreprises comme Toyota et fait partie du Team POINT.P. « Représenter un team en tant qu’athlète c’est vraiment énorme. Humainement, je pense apporter quelque chose, car moi-même je suis du bâtiment. Nous n’avons pas de prime de course. En revanche, nous avons la chance de pouvoir faire apparaître des logos d’entreprises sur nos tenues d’équipe de France. Nous essayons donc de les « monnayer » pour arrondir les fins de mois ou acheter du matériel. »
Un statut de favori à assumer
Quant aux compétitions, elles vont monter crescendo cette année jusqu’à la fin août avec le Championnat du monde à Lausanne en Suisse. Invaincu depuis deux ans, le Rouennais sait qu’il sera attendu partout jusqu’à Tokyo. « Je suis prêt, je m’entraîne dur tous les jours. Je commence à toucher du doigt mon objectif et je ne veux surtout pas le laisser m’échapper. J’espère bien prouver que je peux gagner toutes les courses et surtout celle de Tokyo en 2020. » Pour Nicolas Becker, l’entraîneur national de l’équipe de France, « il sort du lot. Il est capable d’aller supporter la pression alors qu’il a une pancarte énorme dans le dos. Cette année, il est à plein régime, il fait tout pour enfoncer le clou et aller chercher ses limites. » Au dernier Championnat du monde en Australie, Alexis l’emportait avec plus de trois minutes d’avance sur l’espagnol Alejandro Palomero, mais « l’idée n’est pas de se satisfaire de cet écart », estime Benjamin Maze, le directeur technique national de la Fédération française de triathlon. « C’est aussi de pouvoir progresser dans l’ensemble des facteurs : la gestion de l’effort, l’hygiène de vie, la transition. On sait qu’il est encore perfectible notamment sur la partie natation, mais il a son destin en main, donc c’est beaucoup plus confortable. » Notamment face à des clients comme le Britannique Steven Crowley et l’Américain Jamie Brown, ses plus coriaces concurrents. « Mais ce que ne savent pas ses adversaires, c’est qu’Alexis 2018 est beaucoup moins bon que ne sera Alexis 2019. Il ne se repose pas sur ses acquis, au contraire, il grappille du temps dans tous les domaines », prévient Nicolas Becker. Il sera forcément l’une des trois grosses chances de médailles à Tokyo (du 24 juillet au 9 août 2020 pour les Jeux olympiques, du 25 août au 6 septembre 2020 pour les paralympiques, NDLR) avec le triathlon relais mixte et Vincent Luis en olympiques. « Il démontre un haut niveau de performance et la capacité à le réitérer », constate Benjamin Maze. « C’est le leader de l’équipe et notre athlète le plus performant, avec les plus fortes ambitions pour les prochains Jeux. »Nicolas Becker confirme : « C’est le leader charismatique. Il domine de la tête et des épaules sa catégorie et cela rejaillit sur tout le groupe ; d’abord parce qu’il prend la lumière du fait de sa taille, mais également de par ses résultats et son attitude. » Il tentera donc d’imiter Gwladys Lemoussu, médaillée de bronze à Rio et première médaillée française dans la discipline, triathlètes et paratriathlètes confondus…
Alexis Hanquinquant nouveau membre de la Team Normandie
Initiée en 2017 par Hervé Morin, président de la Région Normandie, la Team Normandie a été créée dans le but de promouvoir et de valoriser la Région. À son lancement en août 2017, 22 sportifs de haut niveau ont été présentés et, en février dernier, cinq nouveaux athlètes normands ont à leur tour intégré le collectif. Alexis Hanquinquant en fait donc désormais partie. « Ils ont beaucoup d’ambition, avec pour certains l’objectif d’une qualification aux prochains Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo en 2020 », déclarait Hervé Morin lors du lancement du projet aux côtés de Claire Rousseau, vice-présidente de la Région Normandie en charge du sport, de la jeunesse et de la vie associative. « Cette liste de sportifs n’est pas figée », précise Claire Rousseau. « Certains n’en font plus partie parce qu’ils ont quitté la Normandie, mais d’autres sont arrivés. Il y a vraiment la volonté d’un attachement à la Région, c’est primordial. » Ces Normands compétitifs bénéficient ainsi d’une bourse de 2 000€ par an et peuvent compter sur les services de la Région, aux petits soins, pour qu’ils soient dans les meilleures dispositions. Fraichement intronisé dans la Team, Alexis Hanquinquant s’est rapidement fait remarquer. « C’est quelqu’un d’assez extraordinaire, au charisme impressionnant », témoigne la vice-présidente. « Il a des résultats sportifs, est très attaché à la Normandie et a aussi envie de partager, de transmettre… »
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