Alors que le projet de loi contre le séparatisme sera présenté en Conseil des ministres le 9 décembre, la France doit faire face au problème de la radicalisation dans le milieu sportif. Un phénomène inquiétant que la ministre déléguée chargée des Sports, Roxana Maracineanu, a décidé de prendre à bras le corps.
Après l’assassinat du professeur d’histoire-géographie, Samuel Paty, le 16 octobre dernier à Conflans-Sainte-Honorine, après l’attentat de la basilique Notre-Dame de Nice le 29 octobre, la France a été meurtrie. Le gouvernement, quant à lui, a réagi en durcissant son projet de loi contre le séparatisme, destiné à « renforcer la laïcité et conforter les principes républicains ». Le texte sera présenté en Conseil des ministres le mercredi 9 décembre, avant d’arriver à l’Assemblée nationale dans le courant du mois de février 2021, puis direction ensuite le Sénat. Le gouvernement Castex espère voir le texte adopté avant l’été de l’année prochaine. Parmi les enjeux importants auxquels le gouvernement doit apporter une réponse, figure le phénomène de radicalisation dans le monde du sport. Un rapport du 27 juin 2019 sur les services publics face à la radicalisation, conduit par les députés Éric Diard et Éric Pouillat, tirait déjà la sonnette d’alarme. « Le sport, lieu emblématique de l’intégration et de l’apprentissage des règles, est devenu à bien des égards celui d’une forme de désocialisation dans la mesure où la radicalisation, quoique difficile à quantifier précisément, semble y progresser », notaient-ils.
« 250 référents citoyenneté et laïcité qui luttent contre le séparatisme »
Même si les rapporteurs reconnaissent qu’il est difficile de mesurer la radicalisation dans le secteur sportif et que des mesures ont commencé à être prises notamment grâce au Plan national de prévention de la radicalisation (février 2018), ils estiment qu’il faut aller plus loin. Ils s’inquiètent particulièrement de la radicalisation des encadrants, « particulièrement dangereuse, compte tenu de l’influence que ceux-ci peuvent avoir, notamment auprès des plus jeunes » et notent que « les sports les plus concernés par cette dérive sont les sports de combat, la musculation, le football, le foot en salle ou encore le tir sportif ». La conclusion des députés Éric Diard et Éric Pouillat est sans appel, puisqu’ils « partagent le sentiment que toute la mesure n’a pas été prise de la gravité de la radicalisation dans le milieu sportif. La peur de remettre en cause les résultats, ou la crainte d’interférer avec l’organisation de grands événements sportifs (comme les Jeux Olympiques de Paris en 2024), expliquent sans doute en partie sinon une forme de déni, à tout le moins une tendance à minimiser le phénomène ». Pour autant, Roxana Maracineanu et ses équipes ont bel et bien décidé de prendre ce sujet très au sérieux depuis plusieurs années déjà. Lors de son passage sur Europe 1 fin septembre, la ministre déléguée chargée des Sports expliquait que des contrôles étaient déjà effectués dans les clubs et les associations sportives : « Nous faisons des contrôles ciblés avec le ministère de l’Intérieur, nous en avons fait un peu près 300 en 2019. Ces 300 contrôles ont seulement entraîné cinq fermetures, et ces cinq fermetures n’étaient pas expressément dues à la radicalisation. » Une procédure est déjà en place pour signaler une possible dérive : « Nous avons aujourd’hui 250 référents citoyenneté et laïcité qui luttent contre le séparatisme, chargés de faire remonter chaque signalement. »
« Un club sain, c’est un club républicain »
Malgré la présence de ces référents, indispensables pour faire remonter les informations, il reste difficile d’obtenir des chiffres précis concernant la radicalisation dans le milieu sportif. Le ministère ne nie pas son existence, mais insiste sur la nécessité d’installer des outils permettant de mieux mesurer le phénomène. « Nous allons aller encore plus loin », promet Roxana Maracineanu, qui souhaite quand même rappeler que « la grande majorité de ce qui est transmis par les éducateurs dans les associations sportives, ce sont les notions de tolérance, de vivre ensemble, et d’acceptation de l’autre ».
La ministre déléguée chargée des Sports souhaiterait notamment engager la responsabilité des présidents des différentes fédérations sportives : « Il reste dans certaines associations, dans certains clubs, des problèmes de discrimination, de communautarisme, de séparatisme, et il faut que nous allions plus loin sur cette thématique. Mon ministère a renoué depuis deux ans maintenant avec ces missions régaliennes de protection des publics et de lutte contre les discriminations. Il faut que toutes les fédérations s’engagent contre les discriminations, les présidents doivent être à nos côtés et ils seront de plus en plus à nos côtés pour pouvoir contrôler ce qui se passe dans leurs associations affiliées, dans leurs compétitions. J’ai pris cette questions à bras le corps et j’ai déjà demandé des comptes à plusieurs présidents de différentes fédérations. Ils ont dû rendre compte de choses qui se passaient depuis longtemps dans les fédérations, ou de choses qui pouvaient paraître normales avant mais qui aujourd’hui ne le sont plus. Les fédérations doivent être responsables des valeurs de la République, car elles sont agréées par l’Etat, et un club sain, c’est un club républicain. Ce sont les principes de la République qui doivent primer dans une association sportive, et nous veillerons à cela. »
Roxana Maracineanu a confirmé qu’il était important de mieux documenter le problème de la radicalisation dans le sport pour mieux pouvoir le contrer, un mois plus tard lorsqu’elle a été interrogée en marge de l’examen du budget sport devant la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée par le député La République En Marche, François Cormier-Bouligeon. « Un des pans de notre plan de prévention, c’est de documenter cette question et voir comment le parcours sportif d’un individu peut mener à la radicalisation ou inversement. Une avancée doit être faite là-dessus et aujourd’hui il y a des entités universitaires qui se proposent justement pour travailler sur ces sujets et nous en avons vraiment besoin pour documenter des affirmations comme celle-ci. » Plusieurs personnalités demandent une action forte et immédiate. C’est le cas de Patrick Karam, vice-président du Conseil régional d’Île-de-France, qui a récemment publié aux Editions Plon « Le livre noir du sport », co-écrit avec Magali Lacroze : « La défense des valeurs de la République et la lutte contre la radicalisation passent obligatoirement par la mise en place de dispositifs ambitieux. » Médéric Chapitaux, qui travaille depuis plusieurs années sur la radicalisation dans le milieu sportif souhaiterait notamment que soit appliquée à l’échelle nationale la règle 50 de la charte olympique (« aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique »), qui impose la neutralité dans le sport.
Par Simon Bardet et Olivier Navaranne