La Fédération Française de Rugby a mené une étude approfondie concernant son attractivité auprès des jeunes pratiquants. Un diagnostic parfois surprenant mais surtout fondamental, comme l’explique Nathalie Janvier, vice-présidente de la FFR en charge de l’Attractivité et de la Fidélisation Cadets/Juniors.
Qu’est-ce qui a poussé la Fédération Française de Rugby à se pencher sur son attractivité auprès des jeunes ?
Lorsque Florian Grill a pris la présidence de la fédération, il a souhaité accorder une vice-présidence à part entière sur la thématique des jeunes. C’était un message fort. On travaille donc désormais sur cette tranche d’âge-là, des moins de 16 au moins de 19, en passant bien évidemment par les moins de 18 féminines. Quand on discutait autour de nous, on entendait toujours des choses négatives : « les effectifs diminuent », « les jeunes, on ne les fidélise pas », « ils ne viennent pas au rugby », etc. D’un commun accord avec le Président Florian Grill, nous nous sommes engagés à ne mettre en place aucune action avant même d’avoir réalisé un diagnostic complet sur ces catégories ? C’est donc comme ça que nous avons lancé nos travaux.
Quels sont les enseignements à tirer de ce diagnostic ?
Nous avons travaillé avec Damien Ressiguié, DTL de la Ligue Nouvelle-Aquitaine et missionné par la Direction technique sur le sujet. Ce diagnostic a duré plus de six mois, nous avons repris des travaux (sur les causes d’abandon et de motivation) qui avaient déjà été faits dans différentes ligues comme la Ligue Ile-de-France et la Ligue Pays-de-Loire par exemple et nous avons approfondi. Nous avons travaillé dans un premier temps sur les données « internes » puis sur les données « sociales » qui pouvaient impacter la fidélisation et l’ttractivité. On s’est rendu compte que jusqu’en 2020, les effectifs et le nombre d’équipes étaient en baisse depuis pratiquement dix ans. Tout cela alors que le nombre de rassemblements était en hausse .
En 2019, il y a eu la création des Ligues, et le projet de réforme de la formation avec notamment la mise en place des conseillers techniques de clubs (CTC). La direction technique nationale a envoyé un message fort : celui de travailler davantage autour des rassemblements pour les réduire puisque le nombre d’équipes diminuait.
En étudiant les chiffres de plus prés, il s’est avéré que depuis 2021, le nombre de licenciés augmentait et la fidélisation était elle aussi en hausse. Nous avons donc approfondi encore nos recherches avec le service DATA de la FFR. Nous nous sommes rendu compte, par exemple, qu’il y avait une augmentation de plus de 15% chez les moins de 16 ans et de plus de 12% chez les moins de 19 ans, contrairement aux idées reçues. Chez les moins de 18 ans filles, l’augmentation était de plus de 40% et de plus de 93% chez les moins de 15 ans.
De la même façon, on entendait souvent que les jeunes ne pouvaient pas être fidélisés. Or, c’est pratiquement chez les jeunes qu’il y a le plus de fidélisation : 75% chez les moins de 19 ans et 78% chez les moins de 16 ans. Ces chiffres sont tous aussi éloquents que surprenants. Notre objectif est de mettre les actions en place afin de les faire progresser encore plus bien sur .
Comment s’explique ce retournement de situation depuis 2020 ?
On savait, par exemple, que la proximité était un enjeu majeur. Au-delà de 20 minutes de transport, on perd en taux de fidélisation. Ce constat engendre un certain nombre d’actions, dont le développement des antennes d’écoles de rugby par exemple. Autre avancée : on accompagne les clubs pour qu’ils tendent vers l’autonomie plutôt que vers les rassemblements.
Après, on a vu aussi qu’il y avait des données sociales qui rentraient en ligne de compte. Les jeunes habitant dans des communes rurales se réaffilient beaucoup plus que ceux qui sont dans les zones urbaines. Aujourd’hui grâce à notre partenaire TotalEnergies, la fédération française de Rugby fait un gros focus sur le Tournoi national des quartiers et des campagnes, qui nous permet de faire découvrir le rugby à des jeunes de quartiers prioritaires mais aussi à ceux habitant dans des zones de revitalisation rurale .
On s’est également rendu compte de l’impact la dynamique du groupe sur la réaffiliation. Aujourd’hui, pour que cette dynamique soit vraiment atteinte, il faut un groupe entre 25 et 30 joueurs. Au-delà de 30 joueurs, vous allez perdre en fidélisation. Pourquoi ? C’est simple : si on limite les effectifs à l’intérieur du groupe, les joueurs auront plus de temps de jeu. Or un jeune qui joue plus, sera plus motivé, et sera plus enclin à se fidéliser.
Au niveau des féminines, on sait qu’ une école de rugby où il y aura plus de filles, le taux de réaffiliation sera plus importante : il suffit que le club augment son pourcentage de filles en EDR d’un point pour que la réaffiliation moyenne des joueuses augmente de 3,5%. D’où l’importance de la féminisation et les moyens mis depuis deux saisons sur le challenge M15 Feminin « Rugby pour Elles ».
Cela a été une surprise pour vous de constater une dynamique aussi opposée aux « on dit » et à l’impression qui pouvait exister avant ?
Si je vous disais non, je mentirais. Si nous sommes partis dans ce diagnostic , c’est que nous étions persuadés de l’inverse, mais nous ne pensions pas que les chiffres seraient aussi « parlants ». On voulait vraiment impulser des actions à partir de données factuelles, en étant le plus proche de la réalité de terrain. On s’est dit que ce diagnostic était le moyen le plus précis de le faire. On a volontairement travaillé avec le service data de la fédération qui a fait un travail de recherche énorme. Cela nous a permis de nous appuyer sur des données factuelles. On a notamment pu avoir des données démographiques. On a vu qu’il y avait des lieux géographiques où la population avait tendance à rajeunir. Ce sont des territoires où il fallait aller travailler sur l’attractivité.
Il y a un autre sujet qui nous a marqué, il concerne le primo licencié.Dans ces catégories, les chances de réafiliation d’un jeune garçon diminuent de 49 % si c’est un nouveau licencié par rapport à un jeune licencié depuis 1 à 5 ans. C’est un chiffre très important. Comment ça s’explique ? Vous sortez d’un système éducatif (les Ecoles de Rugby) pour passer vers un jeu aux postes plus technique. Nous ne mettons pas assez en place des outils d’accueil spécifiques pour les nouveaux pratiquants. Le primo-arrivant va, par exemple, travailler ses plaquages et les systemes de jeu, comme ses copains le font, sauf que lui débute et eux font du rugby depuis 4, 5 ou 6 ans, voir plus C’est une réalité qui nous a interpellé.
On s’est également posé la question de la communication à destination de nos jeunes. On est face à une génération qui communique beaucoup avec énormément de moyens de communication. Il s’avère que nous n’avons pas de communication ciblée pour les catégories jeunes. La communication fédérale est orientée vers les Ecoles de Rugby, les seniors mais nous avons tendance à « oublier » les catégories jeunes. Donc c’est un axe de travail pour nous, de mettre en place une communication pour et par les catégories jeunes afin de développer davantage un sentiment d’appartenance. Nous savons tous que « tout ce qui n’est pas vu n’existe pas » !.
Autre axe de travail mis en place à partir de ce diagnostic pour tendre vers davantage de fidélisation : travailler sur les différents statuts que peut avoir un jeune licencié. Fidéliser un jeune pratiquant , est ce uniquement le fidéliser en tant que joueur ? Pas forcément : nous avons pris en reference ce qui est mis en place dans le système scolaire au niveau de l’UNSS avec les JEUNES OFFICIELS. Un licencié UNSS peut devenir jeune coach, jeune arbitre, jeune dirigeant, jeune reporter etc. Dans notre système associatif aujourd’hui , un jeune doit souvent attendre sa majorité pour passer ses diplômes d’éducateur par exemple. Un jeune qui ne souhaite pas poursuivre en tant que joueur en U16 par exemple, lui donne-t-on la possibilité de devenir éventuellement jeune coach ou jeune dirigeant ? C’est un sujet à développer pour la Fédération Française de Rugby et un groupe de travail autour de notre INEF (Institut National de l’Emploi et de la Formation) travaille actuellement sur le sujet.
Quels sont les axes forts à mener par la FFR sur la base de ce diagnostic ?
Nous pouvons aujourd’hui nous appuyer sur un diagnostic de plus de 60 pages ,bâti en transversalité avec des personnes élues mais aussi des techniciens, des salariés travaillant sur différentes thématiques. Dans notre groupe de travail , nous retrouvons ainsi les binomes « techniciens/élus » des Ecoles de Rugby, du développement de la pratique féminine, de la formation, des épreuves, des territoires. La richesse de ce groupe réside dans sa diversité et cela nous permet de traiter nos sujets en transversalité et avec une vrai logique de progression .
Nous avons ainsi degagé cinq axes de travail dans notre objectif de fidélisation et d’attractivité chez les catégories jeunes :
Premièrement, rendre nos compétitions plus attractives et fidélisantes, avec notamment une réflexion sur les catégories d’âge et sur la pyramide des compétitions. On y travaille en étroite collaboration avec les épreuves et on a déjà commencé, ne serait-ce qu’au niveau national, à réduire le haut de la pyramide pour renforcer la base.
Deuxièmement, mettre en place une communication avec et pour les jeunes pour développer ce sentiment d’appartenance et les valoriser.
Concernant la formation : fidéliser le licencié et ps seulement le joueur .on a un groupe de travail qui s’est mis en place avec notre INEF et avec des personnes dans différentes commissions pour axer ce parcours de jeunes dirigeants, de jeunes arbitres, de jeunes coaches et ne pas être obligé d’attendre qu’ils soient majeurs pour pouvoir rentrer en responsabilité.
Sur la formation, c’est aussi former les encadrements des catégories jeunes (mieux connaitre les générations Z et alpha) il est également nécessaire de former nos encadrants et comprendre quelle génération on a en face de nous. Nos jeunes ne sont pas les mêmes qu’il y a dix ans et le contexte est différent aussi. Ce « choc générationnel » souvent à l’origine d’incompréhension doit être pris en compte.
On a aussi un gros travail sur tout ce qui concerne la réglementation et notamment la gestion des « flux ». On travaille actuellement, sur les obligations, les rassemblements, mutations, comment les limiter, etc. On travaille aussi sur les doubles licences parce qu’on s’est rendu compte que le taux de fidélisation avec les les doubles licences est de plus de 95 %. Ce qui n’est pas anodin.
Enfin, le dernier axe concerne l’éthique et la déontologie. On y travaille beaucoup avec la Direction des affaires juridiques et du contentieux (DAJC) et avec la Commission médicale concernant la lutte contre les addictions, l’ambiance autour des terrains avec le plan anti-violence, et tout ce qui concerne l’environnement autour de la pratique.
Sur ces cinq axes de travail, des groupes de travail ont été mis en place et les travaux avancent. Nous avons des priorités certes, mais chacun des axes est important et nous ferons un bilan intermédiaire en fin de saison.
