« Prendre le temps de s’écouter et de se reposer »

Anthony Perrin, préparateur mental qui travaille notamment avec le CROS Bourgogne-Franche-Comté, alerte les sportifs de haut niveau et amateurs sur les dangers sur le plan psychologique de trop vite reprendre son sport.

 
Que fait exactement un préparateur mental ?
Le métier consiste à accompagner les personnes dans la réalisation de leur projet en augmentant leur potentiel psychologique, grâce à différents outils et méthodes. En France, on a encore un a priori négatif sur tout ce qui agit sur le mental, alors on accuse un déficit dans ce domaine. Cela apparaît dans un rapport de Claude Onesta, responsable de la cellule haute performance de l’Agence nationale du sport (ANS). Pourtant, nous sommes dans un moment charnière avec la création de ANS et la France bénéficie de la locomotive des Jeux olympiques à Paris en 2024. Mais, si on n’intègre pas la préparation mentale, on va au-devant de problèmes. Dans les années 80/90, des fédérations ont connu de mauvaises expériences, alors le Gouvernement a cadré le métier avec des diplômes d’État au début des années 2000. Pour ma part, j’ai obtenu un Master en psychologie à Reims. Je suis en profession libérale et j’ai créé ma structure Mental gagnant en 2005.
 
Avez-vous des exemples de cette situation ?
J’ai accompagné des équipes de France de VTT et BMX entre 2005 et 2012, avec Frédéric Grappe et Alain Groslambert, également chercheurs à l’UFR de Besançon. Dans cette période, la France a réalisé deux doublé or et argent aux Jeux olympiques de Pékin (Anne-Caroline Chausson et Laëtitia Le Corguillé en BMX, Julien Absalon et Jean-Christophe Péraud en VTT, ndlr) et Julie Bresset a obtenu le titre olympique VTT féminin à Londres. Patrick Cluzaud, directeur technique national à l’époque, avait créé un département performance qui incluait la préparation mentale. Mais en France, on donne des moyens uniquement l’année avant les Jeux olympiques. Trois médaillés olympiques ont eu des problèmes d’épuisement mental après les JO de Pékin. C’était il y a une dizaine d’années, mais le système n’a pas changé.
 

 
Quels conseils donneriez-vous aux sportifs après cette période de confinement et d’absence d’activités ?
Nous sommes dans une période clef dans ce contexte de pandémie de Covid-19, de confinement et de report de compétitions. Les sportifs de haut niveau, qui ont subi la situation comme tout le monde, vont souvent aller trop vite dans leur reprise, sans prendre le temps de discuter avec leur entraîneur, leur staff ou une personne ressource. Ce sont les retours que j’ai. Pourtant, cette période où il n’y a pas d’objectifs à court terme, c’est le moment de faire un travail psychologique pour que le sportif mette des mots sur ce qu’il a vécu. Si les athlètes repartent trop vite, ils risquent des blessures ou des clashes relationnels qu’ils ne peuvent pas se permettre à un an des Jeux olympiques de Tokyo.
 
Vous avez parlé des athlètes de haut niveau. Qu’en est-il des sportifs amateurs ?
Là, c’est attention danger car ce sont des personnes qui n’ont pas accès à un staff professionnel, mais qui ont connu la même frustration pendant le confinement et ont la même envie de reprendre rapidement. Je pense, par exemple, à ceux qui allaient s’attaquer à de gros défis comme des ultratrails, qui sont des courses avec des effets psychologiques importants. Le manque engendre le sentiment qu’il faut rattraper le temps perdu. Pourtant, il faut prendre le temps de repenser le projet pour mieux l’adapter aux changements induits par la situation. Les graves blessures physiques qui peuvent intervenir sont la traduction de problèmes dans la tête. Le confinement a été une période de privation de liberté et vectrice de stress psychologique dont on verra les conséquences avec le temps. J’incite tout le monde, sportifs réguliers et moins réguliers, à dégager du temps pour prendre soin d’eux, de s’écouter et de se reposer. Enfin, pour les enfants, il faut faire attention à ce que j’appelle la « championite », le besoin d’être le meilleur à tout prix. Je rappelle aux éducateurs de privilégier le plaisir et la joie dans la pratique du sport, d’aller parler aux parents pour les rassurer, en particulier pendant cette période, et de compter les sourires à la fin de la séance. Si un enfant est heureux, il reviendra et il parlera de son club autour de lui.
 

 
Comment travaillez-vous avec le mouvement sportif de la région ?
J’interviens pour le CROS Bourgogne-Franche-Comté, notamment pour les classes olympiques et la formation de bénévoles depuis pas mal d’années. Le sport pour tous est en train d’exploser et il est important de bien d’accompagner les éducateurs et les entraîneurs sur l’importance de la dimension psychologique au cours de leur formation. Il faut repenser la pédagogie pour avoir une pratique bienveillante et en sécurité. C’est là que le CROS a un rôle important de rappeler, les règles pour bien pratiquer son sport. Il y a tout un travail de communication à faire pour inciter les gens à venir dans les clubs. À l’automne, je vais participer à une formation avec le réseau sport santé de la région qui s’adresse à des soignants déjà formés dans l’accompagnement, dans la rééducation, et le rétablissement. Le but de cette action « Booster le mental », montée par Marie-Lise Thiollet chargée de projet au CROS, est de donner des outils pour la préparation mentale. La sensation de bien-être est la clef, il est important de développer la confiance, la joie et l’optimisme d’une personne pour avoir des séances plus productives et plus de résultats.

Propos recueillis par Leslie Mucret