Nicolas Rouger : « L’idée, c’est qu’il y ait de l’émotion »

Guilhem Canal - Maatch!

Nicolas Rouger, Sétois d’adoption, participera au Vendée Globe en 2024 avec un projet inédit. Quand l’art se mêle au sport et le sport se mêle à l’art…

En quoi consiste le projet “ Demain c’est loin ” ? 

L’idée, c’est d’être prêt pour le Vendée Globe 2024. Pour cela, on a acheté un bateau, un Imoca 60 qui sont les seuls bateaux pour faire le Vendée Globe. Dans la voile, soit on raconte une belle histoire, soit on a des partenaires avec des gros budgets qui permettent de faire des résultats importants. Moi je n’avais pas cela, donc il fallait que je raconte quelque chose de différent pour pouvoir financer mon projet. La seule manière de financer des projets comme cela, c’est d’avoir du sponsoring et donc des sociétés qui font leur promotion. La voile est un immense espace publicitaire. Moi, je me suis rapproché d’un ami, un artiste peintre très connu qui s’appelle Hervé Di Rosa. Je lui ai soumis l’idée de peindre la totalité de ma voile pour qu’elle soit une œuvre d’art et non un espace publicitaire. J’ai appelé ce projet “Demain c’est loin” par rapport à la célèbre musique du groupe IAM. Je trouvais que cela correspondait bien aux paroles et que l’on pouvait s’identifier facilement à cela.

Pourquoi voulez-vous absolument participer au Vendée Globe ? 

Pour moi, c’est l’une des dernières grandes aventures humaines. C’est l’aboutissement d’une vie. Faire le tour du monde avec la seule force du vent, sans énergies fossiles, sans escales, sans assistance, en solitude absolue, il y a tout là-dedans. Sur le papier, je trouve cela magique. J’ai toujours été fasciné par les personnes qui entreprennent des choses comme cela. Je l’avais toujours dans un coin de ma tête. En avançant dans l’âge, avec l’expérience qu’on a, on se dit pourquoi pas soi. Je me suis demandé si j’en étais capable. Je me suis rapproché d’amis qui sont de grands marins et je leur ai demandé ce qu’ils en pensaient. Tous m’ont répondu « vas-y, fais le !”. À partir de là, j’avais l’envie et de l’autre côté l’aval de personnes plus qu’expérimentées. Je me suis dit qu’il fallait y aller.

Est-ce qu’il y a un objectif sportif derrière ou seule la participation compte ? 

Il y a toujours un objectif sportif. Il y a tellement de différences de budget. La voile reste un sport mécanique. Pour faire des résultats, il faut être à la pointe de la technologie. Ça, ça coûte beaucoup d’argent. Aujourd’hui, la voile a évolué. Il y a des bateaux qui ont des foils, d’autres qui n’en ont pas… Sur les 40 concurrents qu’il y aura au prochain Vendée Globe, il y en a quelques-uns qui l’ont fait quatre fois… L’objectif de résultat se fera par rapport à ceux qui ont le même programme que moi. Je suis très bien entouré dans ma préparation, avec des marins d’expériences qui me boostent. Cela me rassure parce que cela veut dire qu’ils croient en moi. À l’origine, l’idée c’est de raconter mon histoire mais, le programme avançant, je me prends de plus en plus au jeu.

Concernant le bateau, il s’agit d’un Imica 60. Quelles sont, pour vous, ses faiblesses et ses forces ? 

Je suis ravi de ce bateau. Il a toujours terminé ses Vendée Globe. Il n’y en a pas beaucoup des comme cela. Cela me rassure quant à sa construction, à sa solidité. Nous, on est liés à nos bateaux, cela peut paraître fou. Mon bateau a une âme. Ses faiblesses, je ne les vois pas car c’est mon premier Vendée Globe. Ce n’est sûrement pas le plus performant de la flotte. C’est un bateau datant de 2006. La voile a tellement évolué ces dernières années. On ne peut pas lutter avec les derniers bateaux qui sortent… Mais il connaît le chemin par cœur. Pour moi, il n’a que des atouts. J’ai hâte de pouvoir naviguer, de le prendre en main et de me mesurer aux autres.

Par rapport à la voile, véritable œuvre d’art, comment va se passer le financement ? 

On fait peindre la toile par Hervé Di Rosa, début juillet. C’est une immense toile en coton qui est un support classique. Une fois peinte, elle est roulée et stockée au Musée Paul Valéry à Sète. Pourquoi ? Techniquement et sportivement, on ne peut pas partir avec une voile avec telles peintures etc… Deuxièmement, je voulais que les personnes qui me suivent dans cette aventure et qui financent ce projet, donc qui achètent un morceau de toile d’Hervé Di Rosa (un tableau d’un mètre carré), aient la certitude d’obtenir cette voile. Imaginez, le bateau démâte ou je perds la voile en plein milieu de l’Atlantique ou de l’océan Pacifique ou Indien, ils perdaient tout.

Quand vous faites du sponsoring, il y a un abattement fiscal pour les entreprises. Quand vous achetez de l’art d’un artiste français vivant, c’est une charge pour les entreprises. En venant dans cette aventure, si je parle de l’aspect financier du projet, ils s’offrent une œuvre d’art et on met leur nom sur la coque de notre bateau. Les personnes récupéreront le tableau d’Hervé Di Rosa signé avec un certificat d’authenticité de l’œuvre.

L’idée, c’est qu’il y ait de l’émotion dans ce projet. On a mis de l’art, de la musique… Les personnes qui vont venir avec nous vont prendre plein d’émotions et ça c’est super. C’est important l’émotion dans la vie je trouve.

Comment a été choisi le dessin de l’oeuvre ?  

À l’origine, je n’avais rien. Je voulais juste financer le Vendée Globe, la Route du Rhum… J’étais allé voir Hervé Di Rosa en lui expliquant mon idée folle et ce qu’il en pensait. Il m’a tout de suite dit que cela lui plaisait. À partir du moment où il a accepté de m’accompagner dans ce projet, je ne lui ai rien imposé. Il fallait que cela lui parle. C’est son histoire. Je ne suis pas artiste, je n’ai absolument rien à dire là-dessus. Je suis très content et très heureux de faire voyager l’art et les peintures autour du monde.

Comment avez-vous rencontré Hervé Di Rosa ? 

À Sète, on se connaît un peu tous. C’est une petite ville. On a des amis communs. Il est le créateur et fondateur du Musée International des Arts Modestes à Sète. Un soir, il faisait l’inauguration d’une exposition. Il était présent, on me l’a présenté. Il m’a accordé trois minutes. Je lui ai dit voilà l’idée, il m’a dit ok, rappelle moi la semaine prochaine. Je trouve cela génial. Quand ça marche comme cela, c’est super.

C’est la première fois dans l’histoire de la voile qu’une œuvre d’art fait le tour du monde. Qu’est-ce que cela vous inspire ? 

Je trouve que le moyen de financement est juste génial. Quand vous faites du sponsoring, vous sponsorisez un événement ou une période et après l’histoire s’arrête. Là, ce que je trouve génial, c’est que les gens garderont pour toujours le souvenir de leur financement et de l’histoire qu’on a raconté ensemble. Leur sponsoring est, quelque part, un investissement puisque Hervé Di Rosa est un artiste connu et reconnu. Il a une côte certaine. Je suis ravie de tout cela. Poétiquement, je trouve cela super joli de mettre cette voile à côté d’institutionnels. Avoir une voile qui est une œuvre d’art, c’est formidable.

Quels sont vos objectifs à court terme ? 

Rassembler le maximum de gens avec nous dans cette aventure. La route est longue parce qu’il faut trouver des financements pour continuer notre histoire. Prendre le départ de la Route du Rhum aussi. Une fois terminé, il faudra ramener le bateau par la mer pour accumuler de l’expérience. Ensuite, c’est de participer à la Transat Jacques Vabre en 2023.

Il y a tout l’aspect social que l’on fait avec ce bateau puisque je me suis associé à une association qui s’appelle Espace Renaissance. Elle construit des maisons d’accueil pour les enfants battus, violés, ayant un passif un peu difficile. De manière à ce que ces enfants ne soient pas obligés d’aller porter plainte dans un commissariat mais que des psychologues viennent dans ces maisons qui sont des endroits neutres. Dans la voile, les projets sont souvent un peu fermés mais moi j’aimerais bien les ouvrir.

Il y a aussi le côté éducatif. Je me suis associé à l’Education Nationale pour tous les enfants du CP au CM2 de la ville de Sète et du bassin de Tau, pour les accompagner, les suivre, les sensibiliser. Si les enfants peuvent être sensibilisés à l’art et aux métiers de la voile, au moins qu’ils puissent s’ouvrir l’esprit, on aura gagné. Et puis la voile, c’est aussi l’écologie, la géographie. C’est un moyen ludique pour eux d’accumuler de la connaissance, c’est merveilleux.

Propos recueillis par Séverine Bouquet