Jean-Michel Blanquer : « Dynamiser le sport scolaire »

Ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Jean-Michel Blanquer œuvre en faveur du développement du sport scolaire. À mi-quinquennat, il tire un premier bilan des actions engagées et dévoile plusieurs pistes pour les mois et années à venir.

 
Vous avez participé en septembre à la Journée nationale du sport scolaire. Quels sont les enjeux d’un tel rendez-vous ?
En début d’année scolaire il est essentiel de pouvoir redire combien la pratique d’un sport est essentielle pour tous les élèves. Cette journée, créée il y a 10 ans lorsque j’étais Directeur général de l’enseignement scolaire, permet dans tous les établissements de France, de promouvoir le travail des associations et des fédérations sportives scolaires auprès des élèves, des équipes éducatives, des parents d’élèves et du monde sportif local. Dans les écoles, collèges et lycées de France, des manifestations sportives et ludiques (démonstrations, cross, tournois, rencontres ou compétitions) réunissent les élèves volontaires ou désireux de pratiquer une ou plusieurs activités sportives au sein de l’association sportive (AS) de leur école ou de leur établissement. Souvent, les professeurs et les parents prennent part à cette journée. Ce sont près de 2,8 millions d’élèves qui sont licenciés dans une fédération sportive scolaire. Dans la perspective de l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques à Paris en 2024 il est important de continuer de développer les valeurs de l’olympisme dans les établissements : excellence, esprit d’équipe et les valeurs du sport en général comme le goût de l’effort, la persévérance, la volonté de progresser, le respect des autres et de soi. Cette mobilisation pour le sport et pour les valeurs qu’il véhicule a pour objectif de favoriser la réussite de tous les élèves ainsi que des futurs champions français de 2024.
 
Lors de cette journée, vous avez évoqué la mise en place d’un parcours éducatif et sportif destiné aux élèves. En quoi ce parcours va-t-il consister ?
Nous allons en effet entamer une réflexion avec la ministre des Sports pour faire émerger un « Parcours éducatif et sportif » de l’élève. L’objectif étant que les différents acteurs, élèves, enseignants, mais aussi associations sportives scolaires et clubs sportifs partagent la même conception des différents temps de pratique sportive de l’enfant, à l’école et hors l’école ; et de ce fait, qu’ils travaillent ensemble pour garantir continuité et complémentarité des pratiques sportives sur ces différents temps. Nous devons travailler ensemble pour définir ce que doit être une pratique sportive complète, dans toutes ses dimensions, y compris celle de l’engagement citoyen, tout au long de la scolarité de l’élève.
 

 
Le sport aurait-il donc besoin d’être valorisé ? Est-il historiquement le parent pauvre des matières enseignées en milieu scolaire ?
L’éducation physique et sportive n’est pas le parent pauvre des matières enseignées. C’est une discipline qui contribue à part entière à l’apprentissage de l’esprit d’équipe, au goût de la coopération, au respect des règles, comme à l’estime de soi et des autres. Elle participe aussi à l’hygiène de vie. De plus, le dépassement de soi, inhérent à la pratique sportive, permet de susciter chez les élèves le goût de l’effort qui est indispensable à la réussite de tout parcours scolaire. Il faut rappeler que les objectifs de l’éducation physique et sportive sont inscrits dans le code de l’éducation : l’éducation physique et sportive et le sport scolaire contribuent à la lutte contre l’échec scolaire, à l’éducation à la santé, à la citoyenneté et à la réduction des inégalités sociales et culturelles. Le sport scolaire participe également à la complémentarité avec les pratiques périscolaires et extrascolaires. Il fait donc pleinement partie de l’acquisition des apprentissages fondamentaux, à tous les niveaux scolaires.
 

Bientôt un « schéma d’accès à la haute performance »

 
L’EPS fait partie du tronc commun de la réforme du bac. Un élève bon en sport pourra-t-il prochainement bénéficier de plus de débouchés après son bac ?
On ne peut garantir aux élèves sportifs plus de débouchés après le bac, mais on peut aménager le parcours scolaire de l’élève sportif pour l’aider à mener de front études et carrière sportive. Très prochainement, sera institué dans chaque académie un « schéma d’accès à la haute performance », dispositif destiné aux élèves détectés ayant les capacités et le souhait d’intégrer les programmes d’accession au haut niveau. J’ai de même encouragé la création d’une filière de formation aux métiers du sport. Ainsi, une mention complémentaire « Animation et Gestion de projet dans le secteur sportif » a été créée pour les bacheliers de la voie professionnelle, premier palier vers l’obtention du Brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (BP-JEPS).
 
Quel rôle le Service Civique doit-il jouer dans cette valorisation du sport comme débouché professionnel ?
Le service civique est un engagement volontaire pour des missions d’intérêt général reconnues prioritaires pour la Nation. Le service civique peut donc ponctuellement permettre de faire découvrir le monde du sport et devenir un débouché professionnel pour certains jeunes, mais il permet en premier lieu de renforcer les liens entre le monde de l’éducation et celui du sport, et développer les activités physiques et sportives dans les établissements scolaires.
 

 
Le nombre d’heures d’EPS obligatoires à l’école, au collège et au lycée va-t-il changer dans les mois ou années à venir ?
Il n’est pas prévu que le nombre d’heures obligatoires d’EPS soit modifié prochainement. À l’école, le volume annuel d’EPS est de 108h, ce qui représente 3h par semaine. Alerté par différents rapports de l’Inspection générale et de la Cour des comptes sur les difficultés rencontrées dans les écoles (manque d’installations sportives, manque de formation en EPS, etc.) pour assurer pleinement cet enseignement, l’objectif affiché est de faire en sorte que tous les élèves du primaire bénéficient d’une EPS de qualité d’au moins 3h par semaine à l’horizon 2024. Pour le collège, l’EPS tient une place importante dans le socle commun de connaissances, de compétences et de culture évalué à chaque fin de cycle et participe, comme tous les enseignements obligatoires, à l’évaluation des niveaux de maîtrise de ce socle pour l’obtention du diplôme national du brevet (DNB). Au lycée, le volume horaire est de 2h sur chaque niveau de classe. Il n’y a pas lieu de revenir sur ces volumes horaires.
 
Quel premier bilan tirez-vous du projet « Confiance et sport », expérimentant le sport à l’école sur une demi-journée ? Si l’expérience est un succès, doit-on s’attendre à une refonte du modèle de l’enseignement du sport en France ?
Il est encore trop tôt pour établir un bilan définitif de ce dispositif, mais une enquête va être lancée auprès des écoles et établissements participant à cette expérimentation. Un premier panel de 91 écoles primaires et de 27 collèges est engagé dans le dispositif et sera accompagné par les référents académiques en charge du suivi de cette expérimentation.
 

« Il n’est pas prévu que le nombre d’heures obligatoires d’EPS soit modifié »

 
Le modèle allemand, avec la pratique sportive sur une demi-journée, est-il justement celui à suivre ?
Observer les modèles étrangers peut être inspirant, mais les spécificités de chaque pays rendent difficile la transposition. Le système scolaire allemand, souvent cité en modèle comme étant particulièrement respectueux du rythme de l’enfant, est remis en question en Allemagne même. Le choc de l’étude Pisa à laquelle participait l’Allemagne pour la première fois en 2000 et publiée fin 2001, est largement responsable de cette remise en question. L’étude met en avant une forte corrélation entre origines sociales et résultats scolaires : nulle part ailleurs qu’en Allemagne le système scolaire ne pérennise à ce point les inégalités des chances et nulle part ailleurs l’ascenseur social ne fonctionne aussi mal. L’école allemande oriente trop tôt les enfants faibles et ne les prend pas assez longtemps en charge dans la journée pour combler les déficits. Aujourd’hui, 6 400 des 42 000 écoles que compte le pays reçoivent les élèves à temps plein.
 
Le sport à l’école évolue, mais qu’en est-il des enseignants d’EPS ? Doivent-ils, eux aussi, être amenés à évoluer ?
Le sport évolue en effet et nous avons à cœur d’accompagner les professeurs dans ces évolutions. Une importante réflexion est actuellement menée autour de la formation des professeurs, avec la création des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPE). Pour les professeurs des écoles, il convient de donner une place plus importante à l’enseignement de l’EPS si nous voulons les aider à assurer pleinement cet enseignement avec leurs élèves. Pour le second degré, la qualité de la formation des professeurs EPS est unanimement reconnue. L’évolution souhaitée à l’horizon 2024 est de voir croître les passerelles entre le monde scolaire et le monde sportif, l’école et les clubs locaux pour un réel développement de la pratique sportive des jeunes.
 

En septembre, la Cour des comptes dévoilait un rapport très critique envers le sport scolaire, le qualifiant de « réalité mal appréhendée ». La Cour des comptes est-elle dans le vrai ?
La Cour s’est montrée critique envers le sport scolaire. Ce constat est sévère. En dépit d’un maillage territorial inégal, les chiffres d’adhésion à l’UNSS sont en constante augmentation ces dernières années. Les spécificités de l’organisation du sport scolaire (USEP 1er degré et UNSS 2nd degré) ont un caractère historique auquel tous les acteurs sont attachés. Peut-être pourrait-on améliorer l’articulation entre les deux structures ? En tout état de cause, le ministère doit travailler sur un meilleur continuum notamment via la mise en œuvre du parcours de l’élève sportif.
 
Aujourd’hui, des fédérations sportives scolaires existent. Mais quel doit être le rôle des fédérations sportives délégataires concernant le sport scolaire ?
En effet, aujourd’hui en complément de l’enseignement obligatoire de l’EPS, le sport scolaire permet aux élèves volontaires (2,8 millions d’élèves licenciés à l’USEP, ou l’UNSS, ou l’UGSEL) de pratiquer davantage d’activités sportives, de prendre part à des rencontres ou des compétitions, enfin de s’investir dans la vie associative sportive en devenant Jeunes Officiels (juge, arbitre, organisateur, reporter, etc.). Les fédérations sportives délégataires travaillent de manière rapprochée avec les fédérations du sport scolaire. Ainsi de nombreuses actions éducatives sont menées dans telles ou telles activités sportives, des rencontres et des compétitions sportives sont coorganisées, des ressources pédagogiques sont élaborées pour mieux appréhender l’apprentissage et l’enseignement des activités. C’est tout l’intérêt de la trentaine de conventions signées avec les fédérations sportives, à l’instar des 12 conventions renouvelées lors de la Journée nationale du sport scolaire du 25 septembre 2019.
 

« L’élève doit chercher à mobiliser au mieux ses capacités »

 
En matière de sport, l’école est-elle vraiment formatrice de l’élite de demain ?
Le modèle français du sport de haut niveau prend en compte les valeurs essentielles de respect de l’individu, de respect de l’intégrité physique et morale, de respect de l’éthique, de la formation et du devenir professionnel des sportifs de haut niveau. C’est donc une forme d’ « élite de demain » à qui nous avons à cœur de transmettre les valeurs fondamentales du sport, en proposant notamment des aménagements de scolarité et d’examen pour les jeunes sportifs inscrits sur les listes de haut niveau.
 
Quel doit être le but de la pratique du sport à l’école ? La notion de performance a-t-elle sa place ?
La notion de performance est importante parce que l’élève, à titre individuel, doit chercher à mobiliser au mieux ses capacités pour réaliser la meilleure performance possible. Mais l’EPS à l’école concourt surtout à l’épanouissement de chaque élève qui peut enrichir ses expériences et ses compétences par la pratique physique, sportive et artistique. Elle contribue également à développer une culture de l’activité physique régulière.
 
En parlant d’élite, quel est le rôle de l’Éducation nationale en vue des Jeux olympiques et paralympiques 2024 ?
La pratique du sport à l’école forme de futurs adultes soucieux de leur accomplissement personnel, mais aussi de futurs citoyens. Elle confronte chaque élève aux règles nécessaires à l’acquisition d’un savoir vivre ensemble respectueux des valeurs de la République qui comprend : le respect d’autrui, les valeurs de loyauté, d’effort collectivement partagé. Elle assure en outre l’inclusion dans la classe des élèves à besoins éducatifs particuliers ou en situation de handicap. Ces notions de dépassement de soi, lié à l’épanouissement de chacun et au respect de l’autre, sont nos mots d’ordre en vue des Jeux olympiques et paralympiques 2024.
 
L’Agence nationale du sport a été lancée cette année. En quoi est-elle utile au travail de l’Éducation nationale sur le sport ?
La création de l’Agence nationale du sport (ANS) est née d’une ambition commune pour une plus grande efficacité collective, avec une gouvernance partagée (État, collectivités territoriales, mouvement sportif, monde économique). Sa mission est double : renforcer la performance sportive de haut niveau olympique et paralympique et accompagner le développement des pratiques sportives sur les territoires. Le ministère est membre de l’Assemblée générale de l’ANS, en tant que représentant de l’État. Comme l’a rappelé la Cour des comptes dans son rapport public thématique de septembre 2019 « L’école et le sport : une ambition à concrétiser », l’éducation nationale est le principal contributeur du sport pour tous, avec plus de 4 Mds€ de budget alloué. De plus, compte tenu de la restructuration amorcée des services déconcentrés de l’État qui prévoit que les services territoriaux chargés des sports devraient être intégrés dans les rectorats (circulaire du Premier ministre du 12 juin 2019), une place plus importante devrait être faite très rapidement au MENJ. L’ANS doit permettre de mieux structurer les responsabilités, de mettre en place des relais constants et opérationnels entre l’école et le mouvement sportif, enfin de prendre en charge l’épineux dossier des équipements sportifs (recensement des insuffisances, harmonisation et rationalisation des créations, etc.)
 

Le sport scolaire du premier degré en développement

 
Que ce soit concernant les activités périscolaires ou la mise à disposition des infrastructures, attendez-vous plus des collectivités locales ?
C’est l’une des raisons de la création de l’Agence nationale du sport : elle doit permettre un travail partenarial resserré avec les collectivités territoriales tant au sujet des activités périscolaires (mise en place et animation), que sur les équipements sportifs (création, répartition et mise à disposition, entretien, etc.). Les collectivités territoriales mettent en effet des équipements sportifs à disposition des écoles et établissements scolaires, obligation légale qui leur incombe au titre de la répartition des compétences dans le domaine scolaire. Cependant, les équipements ne sont que très rarement incorporés à l’enceinte des établissements scolaires et voués en priorité à un usage scolaire, provoquant ainsi de nombreux déplacements et une diminution sensible du temps de pratique sportive des élèves. Il convient ensemble de développer des procédures pour optimiser et rationaliser la répartition des installations sportives auprès des écoles et établissements scolaires.
 
Plus de créneaux pour les élèves, notamment après les heures de cours, sont-ils envisageables ?
Pour répondre aux attentes de l’ensemble des utilisateurs, les installations sportives sont, en dehors des horaires scolaires, réparties entre les différents clubs et associations locales qui en font la demande. Les collectivités territoriales, et le plus souvent les municipalités qui gèrent majoritairement les équipements sportifs, permettent aux jeunes licenciés dans ces structures sportives comme aux adultes licenciés de pratiquer à leur tour.
 
Nous sommes déjà à mi-quinquennat. Que prévoyez-vous de développer et de changer concernant le sport scolaire dans les deux ans et demi à venir ?
Le sport scolaire est dynamique, et la Journée nationale du sport scolaire l’a encore démontré. Je souhaite qu’il se développe encore, notamment dans le premier degré. J’ai renouvelé le 1er juillet 2019 le partenariat du ministère avec l’USEP et la Ligue de l’enseignement pour affirmer, dans le contexte de l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, la nécessité de développer le sport scolaire du premier degré. J’ai de plus mobilisé les recteurs d’académie et les IA-DASEN pour : dynamiser le sport scolaire du premier degré avec, en fonction des besoins et des possibilités, la nomination d’un chargé de mission ; renforcer l’animation sportive dans le premier degré en lien avec l’USEP ; développer enfin la formation en EPS en direction des directeurs d’école et des enseignants.
 
Comment voyez-vous le sport scolaire dans dix ans ?
Nous voulons que le sport scolaire puisse continuer de se développer, au service du bien-être, de l’épanouissement physique et la santé de tous les élèves et au service de la transmission des valeurs que véhicule cette activité : l’excellence, l’esprit d’équipe, le dépassement de soi, le respect d’autrui et l’accueil de tous.

Par Olivier Navarranne