Dorian Hauterville : « J’ai parfois l’impression de dénoter »

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En 2016, Dorian Hauterville, sans aucune culture des sports d’hiver jusque-là, s’est retrouvé propulsé pousseur de bobsleigh. A bientôt 32 ans, le Lyonnais va vivre ses deuxièmes JO, le mois prochain à Pékin, faisant évidemment la fierté de ses parents qui, de Guadeloupe, suivront attentivement ses performances. Il revient pour nous sur sa trajectoire incroyable. 

Dorian, vous êtes depuis quelques jours officiellement sélectionné pour participer aux JO.
Oui et c’est une énorme joie. Maintenant, il faudra que je sois négatif aux 2 tests Covid qu’on passe les 27 et 29 janvier. La qualification aux JO se joue à ça. Si c’est bon, on part le 30 en stage à Oberhof, en Allemagne, pour créer une bulle avec l’équipe. On ne verra plus voir personne de l’extérieur. Cela fait déjà quelques semaines qu’on doit se soumettre à une appli fournie par la Chine : tous les matins avant 10 heures, on doit prendre notre température et dire à combien elle se situe. Ce n’est pas vraiment contraignant, ça prend moins d’une minute le matin et je comprends qu’ils veuillent faire quelque chose assez sécurisé. Même une fois sur place, il va falloir faire hyper attention.

Comment abordez-vous ces JO ?
Dans un état d’esprit particulier, ce seront mes 2e JO et ce ne sera pas du tout la même approche que la première fois, il y a 4 ans à Pyeongchang où j’étais dans un état d’esprit de découverte et d’émerveillement. Tout était allé très vite pour moi. J’avais commencé le bob 2 ans avant, j’avais enchaîné beaucoup de stages pour combler mon retard sur les plans technique et physique sur le reste de l’équipe. J’avais profité de la succession de blessures des autres pousseurs pour participer à toutes les compétitions du calendrier avec en point d’orgue les JO pour lesquels on s’était qualifié « à l’arrache » sur la dernière épreuve.

Et cette fois ?
J’ai plus d’expérience, j’ai progressé, il s’est passé 4 années pleines dont une saison faste en 2019 : on s’est classé 2e d’une Coupe du monde aux États-Unis et on a fini 3e aux Championnats d’Europe. Un résultat historique pour un équipage français en bob à 2 depuis la génération de Bruno Mingeon qui a eu un gros palmarès avec un titre de champion du monde, une 3e place aux JO de Nagano mais surtout en bob à 4 (il a aussi eu une médaille de bronze aux Mondiaux de 1999). Même si depuis 2 ans j’ai contracté des blessures, notamment une petite hernie au dos, qui m’ont empêché de faire autant de compétitions, j’ai retrouvé le collectif sur 3 étapes de Coupe du monde avec à la clé une 7e place pleine d’espoirs à Sigulda en Lettonie, où on termine à 2 10e du podium. Cette fois, à Pékin, je n’en serai plus au stade de l’émerveillement. Le but est d’être à la bagarre, de prendre plaisir à pouvoir rivaliser avec les meilleurs. Par rapport à la première fois, on a préparé cet événement avec plus de moyens. On a plus les armes pour pouvoir se mêler à la lutte.

De là à pouvoir viser une médaille ?
Sur le bob à 2 avec Romain (Heinrich) en pilote, on a terminé très régulièrement dans les 6 meilleurs mondiaux sur les 4 dernières années, 90% du temps on est dans les 10 premiers. Cette régularité nous oblige à viser cet objectif. Tout est possible à ce niveau. C’est un sport qui se joue au centième. Il y a tellement de paramètres qu’on peut gagner ou perdre 4-5 places en un virage. L’objectif est un top 6 mais on ne se fixe pas de limites. On vise le podium et on donnera tout pour voir où ça nous mène.

Sur quoi peut se faire la différence ?
Contrairement aux étapes de Coupe du monde qui se déroulent sur une journée, aux JO il y a quatre manches réparties sur deux jours (les 14 et 15 février pour le bob à 2, les 19 et 20 pour le bob à 4). Il faut donc être régulier sur deux jours. Il y a quatre ans, on était 17e à l’issue de la première journée, puis grâce à un 7e temps dans l’une des manches du lendemain, on avait fini 13e. C’était notre première course ensemble avec Romain sur le bob à 2. Les grosses nations (Allemagne, Canada, Russie, Angleterre) sont un cran un au-dessus en termes de moyens matériels et humains. Nous, on doit optimiser tout ce qu’on a car on n’a pas le droit à l’erreur. Il faut vraiment tout aligner, on n’a pas cette marge qu’ont les autres.

Vous allez disputer vos deuxièmes JO et pourtant vous vous êtes mis très tard au sport de haut niveau.
Pour moi, le bob a commencé en 2016. À la base, j’ai joué au foot de 11 à 18 ans dans plusieurs clubs autour de Lyon (Décines, Vaulx-en-Velin, Villeurbanne), j’étais au lycée Frédéric Faÿs à Villeurbanne où j’ai croisé Loïc Rémy, Alexandre Lacazette ou Samuel Umtiti parce que l’OL était partenaire pour la section sport études. Un jour, un pote a lancé un pari sur le fait que je courais plus vite qu’un mec qui faisait de l’athlétisme. On est allé courir sur la piste du club de Décines (j’ai d’ailleurs gagné le pari !) et je me suis fait repérer par le coach, Grégory Duval, qui ne m’a pas laissé le choix. Il m’a dit : « tu arrêtes le foot et tu te mets à l’athlé. » Je ne me suis pas fait prier, j’ai jeté les crampons et j’ai pris les pointes de sprint. Au grand plaisir de mon père : cela faisait plusieurs années qu’il me disait d’arrêter le foot. Pour lui, ma seule qualité est que je courais vite. J’avais 18 ans, mes parents sont repartis en Guadeloupe et moi j’ai décidé de rester à Décines pour me mettre à fond sur le 100 mètres.

Mais le bob alors dans tout cela ?
On y arrive ! En 2016, huit ans après mes débuts en athlé, je participe aux Championnats de France et ce jour-là, je bats mon record personnel en 10’55. Dans les tribunes, se trouve le recruteur de l’équipe de France de bob, Max Robert (3e aux JO avec Bruno Mingeon en 1998), il vient me voir et m’affirme que j’ai des qualités pour faire du bob et me propose de partir en stage en Italie le mois suivant. De mon côté, j’ai besoin de prendre une petite pause avec l’athlé, je n’avais donc rien à perdre. J’y suis allé et j’ai accroché tout de suite. Un mois plus tard, j’étais aux Championnats de France de poussée individuelle, je finis 4e, ce qui me donne une place de remplaçant dans l’équipe pour la Coupe du monde. Dans la foulée, je suis parti aux États-Unis et au Canada. Moi qui n’avais pas beaucoup voyagé jusque-là, j’étais hyper content.

Avant, vous étiez déjà allé à la montagne quand même ?
Une fois, pour une semaine de classe verte en CM2. Je ne m’en étais pas trop mal sorti en ski puisque j’avais décroché mon flocon et obtenu la meilleure note de la classe. Mais ensuite, je n’y étais jamais retourné. Chez nous, on n’avait pas du tout la culture montagne et des sports d’hiver. Je n’avais jamais regardé les JO d’hiver à la télé donc quand je me suis retrouvé il y a 4 ans à Pyeongchang j’étais limite à demander les règles de certains sports ! Parfois j’ai l’impression de dénoter dans ce paysage. Je suis tombé là par hasard mais après tout est lié, mes qualités en athlé m’ont conduit au bob et je suis plus fait pour le bob que l’athlé. D’ailleurs, depuis que je fais du bob, je me suis mis plus sérieusement au ski et je tombe moins qu’au début. Jusqu’à il y a 3 ans : je me suis fait couper la route en scooter et j’ai fait un joli vol plané au-dessus d’une voiture qui m’a grillé le cédez-le-passage. Rien de cassé, juste quelques hématomes, je m’en suis bien sorti et j’ai pu recourir 3 semaines après. Mais le staff de l’équipe de France nous a interdit toute activité un peu risquée. Je n’ai pas racheté de scooter et j’ai rangé les skis au placard.

Entre 10’55 aux 100 m en courant et 135 km/h en moyenne en bob sur 1,5 km, vous préférez quoi ?
On a même fait 152 km/h en bob à 4 sur une piste rapide au Canada ! Disons que la différence est énorme et bien sur la sensation n’est pas comparable. Une fois assis après la poussée, on fait corps avec le bob, on est acteur de la propulsion. Et surtout, on ne bouge pas dans les virages pour ne pas gêner le pilotage. On apprend la piste par cœur, à nous de rester solides et gainés à l’intérieur. Moi, j’ai une dernière tâche à réaliser après l’arrivée : freiner pour éviter que le bob qui fait 630 kg au total (pour le 4, 385 kg pour le bob à 2) termine dans le décor. C’est une partie importante de la course pour éviter de casser du matériel et pouvoir participer à la manche suivante.

Vivez-vous du bobsleigh ?
Aujourd’hui oui mais cela n’a pas été simple. Jeune, je voulais devenir pompier. Mais j’ai été mal orienté et je me suis retrouvé dans un lycée mécanique. Une fois mon BEP en poche, j’ai piloté des machines mécaniques dans une grosse entreprise de yaourts à tourner en 3×8 jusqu’à 26 ans. Ma passion était le sport, je me suis recentré sur le coaching sportif dont j’ai validé les diplômes. Mais pour être performant en bob, j’ai arrêté de mener de front les deux activités et je vis désormais à 100% mon sport. Pour cela, j’ai dû trouver des partenaires car même si on est un peu aidé par la fédération, ce n’est pas assez pour vivre sereinement. Je pensais que les JO 2018 allait m’ouvrir des portes mais j’ai pris des vents. J’ai donc accepté l’aide d’un agent, Quentin Willems, pour créer un projet et fédérer des partenaires. Huit entreprises aux profils différents m’ont rejoint, certains aiment beaucoup le sport, d’autres ont été interpellés par mon histoire et mon parcours. Et puis, j’ai décroché il y a 2 ans un contrat avec l’Insep dans le cadre de cette olympiade. Max Robert m’a accompagné dans les démarches, je crois que je suis le premier bobeur de l’histoire à obtenir ce contrat.

Quel regard jettent vos parents sur votre parcours ?
Disons que quand j’ai dit à mon père que j’arrêtais l’athlé pour faire du bob, ce n’était pas gagné (rires). Le bob étant un sport atypique, cela a généré beaucoup de crainte au début et en même temps rapidement beaucoup de fierté de leur part. Comme j’ai eu assez vite des résultats, ils m’ont poussé et encouragé. On est très peu de Guadeloupéens à avoir mis les pieds aux JO d’hiver. Même s’ils sont à 10 000 km, ils sont les premiers à regarder les Coupes du monde. Il était prévu qu’ils viennent en Chine mais cela ne pourra pas se faire à cause du Covid. C’est mon grand regret pour le moment, ils n’ont jamais pu me voir m’exprimer en direct. »

Propos recueillis par Sylvain Lartaud