Coline Devillard : « Les Jeux, la compétition ultime »

Championne d’Europe du saut de cheval en 2017 et médaille d’argent en 2019, Coline Devillard (20 ans), forfait pour les championnats d’Europe en avril à Bâle en Suisse, se tourne désormais sur l’objectif ultime de sa carrière : la participation aux Jeux Olympiques de Tokyo, cet été. L’internationale française, originaire de Digoin en Saône-et-Loire et pensionnaire de l’INSEP depuis l’âge de 13 ans, n’en a pas fini avec la gymnastique. Et tant qu’elle ne goûtera pas aux joies des Jeux, la double championne de France 2014 et 2016 ne compte pas arrêter sa carrière. 

 
Vous avez débuté la gymnastique à l’âge de trois ans. Quel a été votre parcours jusqu’au moment d’intégrer l’équipe de France ?
A 10 ans, j’ai intégré le pôle Espoirs de Dijon, à 1h30 de route de chez mes parents. J’y suis restée trois ans avant de rejoindre l’INSEP en 2013. A Dijon, j’avais deux entraîneurs chinois, Jian Fu Ma et Hong Wang. Quand ils sont partis entraîner à l’INSEP, ils m’ont emmenée dans leurs bagages même si j’étais très jeune à l’époque.
 
Comment avez-vous vécu ces années de jeunesse loin de votre famille ?
A Dijon, c’était vraiment très difficile au point d’avoir pensé à tout arrêter. Mes entraîneurs, mes coéquipières et mes parents ont été d’une grande aide pour poursuivre l’aventure.
 
A quel point avez-vous travaillé pour devenir sportive de haut niveau ?
J’ai toujours beaucoup travaillé, entre 8 et 25 heures par semaine. Je me sentais bien lorsque j’étais à la gym, je prenais du plaisir à m’entraîner. Cela s’est fait assez naturellement, et j’ai pu intégrer l’équipe de France après avoir suscité l’attention des entraîneurs nationaux. Pour arriver au haut niveau, il faut 80 % de travail et 20 % de talent.
 
Qu’est-ce que ce sport vous apporte sur le plan personnel ?
Le monde du sport est une vie différente de celle de mes amies par exemple. Je suis la sportive de la bande. J’ai grandi vite, je suis devenue mature et j’ai compris des choses plus vite. Il y a de bons et de mauvais côtés. Cette expérience m’a construit un mental d’acier qui m’aidera lorsque j’arrêterai la gym. J’ai acquis de la persévérance, ce qui m’aide dans ma vie de tous les jours.
 
« On ne peut pas vivre de la gymnastique »
 
En pratiquant la gymnastique, avez-vous dû faire des sacrifices ?
J’ai choisi de faire ça, donc ce ne sont pas des sacrifices. J’ai décidé de pratiquer ce sport, je savais à quoi m’attendre. De temps en temps, c’est compliqué puisqu’on aimerait voir ses amis, rentrer chez soi, être une personne « normale » mais je sais pourquoi je suis là. C’est mon objectif de vie.
 
Peut-on vivre de la gymnastique à haut niveau ?
Absolument pas. Les gymnastes n’ont pas de salaire. J’ai la chance que les frais de l’INSEP soient pris en charge par la fédération. Certains ont des bourses, des sponsors ou des primes de résultats. Je suis sponsorisée par la marque Michelin, qui m’apporte une aide financière et me permet de rencontrer des athlètes d’autres sports. Cela élargit mon cercle de connaissances.
Comment gérer une carrière courte comme c’est le cas en gymnastique ?
C’est vrai qu’à 20 ans, je suis vieille (rires). On passe très jeune dans la catégorie senior et on atteint l’apogée de notre carrière entre 15 et 17 ans. Cela dépend des gymnastes mais le déclic se fait souvent vers l’âge de 16 ans. Il faut préparer l’après carrière afin de pouvoir vivre correctement et avoir un salaire. Je fais des études pour devenir coach sportive et pour être entraîneuse de gymnastique afin d’avoir plusieurs cordes à mon arc.
 

 
Quel est votre structure d’entraînement à l’INSEP ?
On a trois entraîneurs : le Roumain Nellu Pop, l’Australienne Martine Georges et l’Italienne Alisée Dal Santo. J’aime beaucoup m’entraîner avec eux car je découvre différentes manières de s’entraîner et différentes cultures de vie.
 
En quoi vos entraîneurs sont-ils importants dans vos performances ?
Mes premiers entraîneurs avaient presque le rôle de parents. Ils étaient mes repères et les piliers de mes jeunes années. On formait un trio qui fonctionnait bien. C’était très difficile lorsqu’ils sont partis en 2017. A l’époque, Nellu était déjà là, Martine est arrivée ensuite avant qu’Alisée nous rejoigne. Je m’entends super bien avec eux. On a une relation ouverte où on peut parler de tout mais pas de gymnastique en dehors de la salle. Ils sont compréhensifs et nous connaissent parfaitement. Ils sont exigeants mais leur comportement ne change pas en fonction de nos résultats.
 
« Mon meilleur souvenir en carrière ? Le titre de vice-championne d’Europe par équipes en 2018 »
 
Pourquoi vous êtes-vous spécialisée dans le saut de cheval ?
Je suis petite en taille (1,48m), assez musclée, avec des jambes dynamiques. Le fait de courir puis sauter dans un temps court correspond bien à mes qualités. J’aime bien le sol, aussi. J’utilise les qualités de mes jambes pour les acrobaties. En revanche, j’ai du mal à associer le côté artistique aux acrobaties, c’est la raison pour laquelle je n’ai jamais eu d’énormes résultats au sol.
 
Quel est le meilleur souvenir de votre carrière ?
En 2018, à Glasgow en Ecosse, nous sommes devenues vice-championnes d’Europe par équipes. La joie était multipliée et partagée grâce à un travail collectif. C’était une compétition intense où on a battu les Russes en qualifications. Le jour de la finale, le fait de se dire qu’on pouvait être championne d’Europe nous a déstabilisées. Pour l’anecdote, je ne suis passée qu’au saut de cheval et c’était la première épreuve de la finale. Ensuite, l’attente a été interminable. Avec mes coéquipières, on calculait les points, on se trompait puis on recommençait (rires). Avant le dernier passage, on pensait finir troisième mais à cause du stress, on s’était mélangé les pinceaux dans les calculs (rires). Au moment des résultats finaux, on a pu laisser éclater notre joie.
 
Votre titre de championne d’Europe du saut de cheval en 2017 en Roumanie est aussi un moment important de votre carrière…
C’est le plus beau résultat de ma carrière. C’était incroyable parce que je n’étais pas attendue, personne ne me connaissait puisqu’il s‘agissait de mes premiers championnats d’Europe. La salle m’avait impressionnée. J’ai fini troisième des qualifications et je me disais que c’était bien. Le jour de la finale, je passe en dernière mais je ne regardais pas les autres. Quand c’était mon tour, je suis montée sur la piste sans connaître les résultats de mes adversaires. J’étais stressée et excitée à l’idée de montrer ce dont j’étais capable. A la fin, j’étais juste contente de mon travail, mon entraîneur m’a prise dans ses bras pour me féliciter. A l’annonce des résultats, je n’y ai pas cru. Je n’ai fait que pleurer de joie. Sans compter que mes parents étaient dans la salle. Ils pleuraient aussi. Les émotions étaient démultipliées.
 
« On ira à Tokyo pour performer »
 
Comment se sont passés ces 12 derniers mois marqués par la crise sanitaire ?
C’était difficile. L’INSEP a fermé entre mars et mai 2020. Nous sommes ensuite revenus avec beaucoup de contraintes liées aux différents protocoles. Toutes les compétitions ont été annulées depuis un an. On doit reprendre lors des prochains championnats d’Europe en avril. C’était dur de travailler sans avoir d’objectif. On sait que les Jeux Olympiques approchent, mais c’est frustrant de ne pas pouvoir valider la progression aux entraînements lors des compétitions.
 
Les Jeux Olympiques de Tokyo se rapprochent. Pour une sportive comme vous, est-ce l’objectif d’une vie, un rêve ?
J’ai dit qu’il était hors de question que j’arrête la gymnastique avant d’avoir participé aux Jeux Olympiques. C’est la compétition ultime. Si je vais aux Jeux, ce n’est pas pour faire de la figuration. Pour gagner l’or, ce sera presque impossible, mais j’espère au moins figurer parmi les huit finalistes au saut de cheval tout en envisageant de monter sur le podium. En équipe, c’est pareil, on ira à Tokyo pour performer. Un podium serait forcément un exploit mais nous sommes capables de réussir.

Propos recueillis par Loïc Feltrin