Ywan Faye : « Ces Championnats conditionnent tout le reste de ma saison »

Ywan Faye

Le jeune rameur de Condrieu (Rhône) est à 18 ans (il est en junior 2e année) un des grands espoirs de l’aviron français. Ywan Faye (« c’est un prénom breton, mes parents adorent la Bretagne ») espère conserver son double titre de champion de France de skiff le week-end des 7 et 8 avril à Cazaubon (Gers) et réaliser un très bon chrono en vue de cette saison qui sera ponctuée par les Championnats du monde cet été au Canada.

Quel est votre objectif pour ces Championnats de France ?

Le premier, c’est de conserver mon titre de champion de France. En junior, contrairement aux séniors, tout le monde participe à la compétition en skiff, donc c’est le titre à obtenir ! Et le deuxième objectif, c’est de mettre un gros écart sur le deuxième, entre 7 et 8 secondes (cela se court sur 2 000 m), ce qui me permettrait de partir en bateau individuel sur toute la saison, notamment les Championnats du monde en août à St. Catharines au Canada, et d’autres courses internationales qualificatives. C’est le défi que la fédération m’a lancé pour prendre ma place dans un bateau individuel. Si je n’y arrive pas, je courrais les régates internationales de sélection en double français : c’est ce qu’on a fait l’an dernier avec le vice-champion de France Maël Aït-Khelifa Mallet (Coma Argenteuil). Notre entraîneur de l’équipe de France avait un projet de bateau long en tête et ça s’est fini en 4 de couple avec le bateau de Pont-à-Mousson qui était très proche de nous : on a fait 7es aux Championnats d’Europe et 9es aux Championnats du monde.

Qu’est-ce qui fait que vous préférez vous lancer en skiff ?

Déjà par rapport à mon club, c’est une petite structure, donc ce n’est pas facile de mettre en place un bateau long. On n’est que deux du même âge avec mon frère (NDLR : Balthazar, bientôt 19 ans, qui est en sénior première année et fait du skiff poids léger), on a fait quelques doubles ensemble mais sans plus, et cette année il a commencé une activité de chaudronnier, je suis tout seul. Et ça tombe bien, le skiff j’adore ça ! Ce que j’aime en particulier, c’est que personne ne rejette la faute sur moi et au contraire s’il y a un problème, je ne peux m’en prendre qu’à moi et c’est à moi de le régler. Ce pourquoi je suis un peu dégoûté des bateaux longs, c’est qu’il y a eu des malentendus dans le 4 de couple l’an dernier, on s’est un peu embrouillés pendant le stage préparatoire même si ça peut se comprendre : on est restés un mois ensemble quasiment 24 h/24. Parfois, il peut y avoir quelques rivalités puisqu’en début de saison, on est tous concurrents. Ce n’est pas le cas sur un skiff : je me débrouille bien au niveau national et j’ai envie de mesurer ce que ça donne au niveau international.

Quelles seraient vos ambitions si vous partez en skiff sur la saison ?

Participer aux Championnats du monde ! Cela passe par des régates internationales qualificatives. Il y en a une première à Mâcon en mai. Cette course-là, étant donné que les Championnats d’Europe, qui étaient prévus en Russie début juin, sont annulés, c’est un petit Championnat d’Europe. Je vais participer aussi à une régate à Munich fin avril avec plusieurs courses prévues dont une en skiff. Une course se court sur 2 000 m, on met entre 7 et 8 minutes. Ma meilleure performance, c’est 7’12. Mais le skiff junior qui a remporté les Championnats du monde l’an dernier, il était à 6’57. Et 15 secondes, c’est énorme à aller chercher. En tout cas, cette année, ce sera la première fois que je pars en compétition internationale hors de France. Puisque l’an dernier les Championnats d’Europe (à Brive) et du monde (à Vaires-sur-Marne) se sont déroulés en France. Avant les France, j’ai remporté le week-end dernier les championnats de zone bateaux courts à Aiguebelette, la première grosse compétition de la saison en 7 min 32 mais les conditions étaient très défavorables.

Comment vous sentez-vous avant ces Championnats de France ?

J’ai clairement la pression car ces Championnats conditionnent tout le reste de ma saison. L’an dernier, je n’avais rien à perdre, tout à gagner parce que j’étais le plus jeune de ma catégorie. En revanche, cette année, je suis junior 2e année, je suis favori. Si je gagne, les gens vont dire : « c’est normal, il a déjà gagné l’an dernier ». Si je perds, il va y avoir quelques retombées. D’ici à la compétition, mon entourage va me trouver un peu insupportable, je pense (sourire). Sous la pression, je suis beaucoup plus irritable. Par exemple, aujourd’hui, il y a beaucoup de vent et donc des vagues, je ne vais pas pouvoir m’entraîner comme ce que je voudrais et ça va me miner. Alors que ce n’est pas du temps perdu car tout entraînement est utile. Quand mon entraîneur (Bernard Cotte) me suit sur le bateau de sécurité, j’ai plus de retenue. Mais quand c’est mon père, ça peut être plus tendu et on s’énerve un peu. Mais on sait que c’est pour la bonne cause.

Comment s’organise votre semaine ?

Je m’entraîne entre 25 et 30 heures par semaine, à la fois sur l’eau, sur l’ergomètre et en séance de muscu. Et je fais 6 heures de sport en plus au lycée puisque je suis en spécialisation sport en Terminale. J’ai eu l’opportunité il y a 2 ans d’intégrer le lycée Vaugelas à Chambéry en horaires aménagés mais je ne l’ai pas saisie parce que le cadre et les conditions de travail ne me plaisaient pas. Je préfère pouvoir garder la main sur mon entraînement et discuter avec mon entraîneur du temps et de l’intensité de la séance : si un jour je me sens un peu fatigué, on relâche un peu et inversement si je me sens en forme. C’est ce qui me plaît dans une petite structure, c’est plus flexible. Rester dans la région m’a aussi permis de découvrir le Pôle France de Lyon (situé au Grand Parc de Miribel-Jonage, à Vaulx-en-Velin).

C’est-à-dire ?

J’ai pu m’entraîner plusieurs fois avec les moins de 23 ans qui sont entraînés par Anthony Lalande. J’échange avec eux, notamment avec Samuel Arque, vice-champion du monde en double quand il avait mon âge, on s’entend super bien, on rame parfois en bord à bord, c’est hyper instructif, ça me fait vraiment évoluer et progresser : quand je n’ai pas de compétition, j’y vais tous les week-ends. Ils m’ont même trouvé un bateau ce qui m’évite de transporter le mien de Condrieu. Au pôle, c’est incroyable, je croise les rameurs de l’équipe de France que je vois à la télé : Matthieu Androdias et les filles Claire Bové et Laura Tarantola. Passer à côté d’eux sur l’eau, c’est magnifique !

Ça vous fait quoi de côtoyer de tels champions ?

Je me sens petit à côté. La dernière fois, je me changeais dans le vestiaire à côté d’eux, je pense que j’avais les yeux qui brillaient. De voir qu’ils sont hyper accessibles, qu’on peut parler avec eux, on dirait que ça fait très longtemps qu’on s’entraîne ensemble. Je vois le chemin qu’il me reste à faire quand je les vois ramer, c’est hyper motivant. Je me sens un peu privilégié, je ne suis pas pensionnaire du Pôle. L’année prochaine, je compte postuler pour l’intégrer à plein temps et en même temps je voudrais entrer en STAPS sur Lyon.

Ces rameurs sont champions ou vice-championnes olympiques, certains vont participer à Paris 2024, ça vous donne des idées, des envies ?

Participer aux grandes compétitions internationales, j’y pense tous les jours à l’entraînement ! Je suis vraiment très compétitif et c’est ça qui me tire vers le haut : l’entraînement, c’est dur mais c’est pour accéder à telle ou telle épreuve. De voir qu’ils ont réussi, je me dis que c’est possible donc il faut que je le fasse. Remporter une médaille olympique ou même participer aux JO, c’est le rêve de beaucoup de sportifs. Quand je les vois, ça me donne encore plus envie de m’entraîner et d’essayer d’accéder à ce niveau de compétition. Paris 2024 ça fait juste, mon entraîneur me dit que Los Angeles dans 4 ans, ça pourrait être possible. J’aurai 22 ans, pourquoi pas ! Après, dans l’aviron, dit qu’on atteint son meilleur niveau entre 25 et 30 ans donc j’attends de voir, je vais m’entraîner pour ça.

Qu’est-ce qui vous manque encore ?

Je dois encore prendre du volume physique, je vais mettre l’accent vraiment sur la musculation. Et continuer à chercher des détails dans la ramerie d’un point de vue technique.

L’an dernier, vous avez lancé une cagnotte sur internet pour acheter un nouveau bateau. Vous l’avez trouvé ?

Le club a effectivement lancé une cagnotte avec l’objectif de rassembler 6 000 euros. 5 250 euros ont été récoltés grâce à la famille, à des gens du club mais aussi à des gens extérieurs : par exemple, un des profs de mon lycée a mis une très grosse somme. Le reste pour atteindre 6 000 euros a été financé entièrement par la mairie de Condrieu, laquelle a même mis un peu plus pour me permettre d’acheter un Stroke GPS : ça coûte 500 euros et ça compte non seulement nos coups de rame mais aussi la vitesse, c’est vraiment très utile pour l’entraînement. Et il y a 4-5 mois, on a racheté le bateau d’un ancien rameur de l’équipe nationale de Monaco. Je sens la différence, il est plus rigide que ceux que j’utilisais avant. Il a un portant en carbone, moi j’avais un portant en alu.

Comment avez-vous débuté l’aviron ?

Je suis originaire de la Haute-Loire et quand mes parents se sont séparés quand j’avais 4 ans, mon père est venu s’installer à côté de Vienne (Isère). Ma belle-mère a commencé l’aviron au club de Saint-Romain-en-Gal et nous, avec mon frère, on a essayé lors d’un stage d’été, ça nous a plu et on a pris une licence. J’avais 9 ans. On est resté 3 saisons avant de venir au club de Condrieu quand je suis venu habiter à plein temps ici. C’est là que j’ai commencé à progresser et j’ai fini 3e de ma première compétition à Aiguebelette mais en revoyant ma course, j’avais commis une grosse erreur : généralement, on court entre 34 et 36 de cadence (34 et 36 coups de rame par minute) et moi je me suis mis à 23 ! En fait, j’étais en balade. Mon père et mon coach me regardaient bizarrement au bord de l’eau. Quand je suis rentré, je me suis pris une petite chasse (rires). Ça m’a permis d’apprendre. Lors de ma deuxième course, la Coupe Drôme-Ardèche, j’ai gagné avec 20 secondes d’avance. En augmentant la cadence du coup, ça allait beaucoup mieux ! C’est là que ça a commencé à dérouler. Et les bons résultats que j’ai obtenus par la suite m’ont tiré vers le haut.

C’est l’aspect compétition qui vous plaît avant tout dans ce sport ?

Il y a d’abord eu le fait de pouvoir me dépasser. Ce que j’aime bien maintenant, c’est la glisse et l’aspect technique : quand je sens que mon bateau avance plus vite sans forcément pousser plus fort, juste en changeant quelques petits points techniques sur la prise d’eau. Par exemple, en étant le plus précis possible et en ayant les rames le plus au-dessus de l’eau possible : comme ça je les prépare plus tôt et quand j’arrive sur le devant du bateau, elles tombent tout de suite dans l’eau, je n’ai que ça à penser ! Du coup, j’ai plus d’amplitude de geste : je grappille des centimètres qui me permettent sans pousser plus fort d’aller plus vite. C’est ce que j’aime : sentir le bateau glisser et voir mes vitesses augmenter à chaque fois.

Propos recueillis par Sylvain Lartaud