Télémark – Noé Claye : « Cette victoire, je ne m’y attendais pas »

À tout juste 22 ans (il les aura le 30 janvier), le télémarkeur haut-savoyard vient de remporter sa première victoire en Coupe du monde, le week-end dernier à Oberjoch (Allemagne). De retour chez lui à Samoëns, il nous parle de ses ambitions et de son sport.

 
Racontez-nous cette première étape de Coupe du monde très dense…
Cela a été une 1ère victoire en Coupe du monde un peu en demi-teinte. La veille, mon collègue Matti Lopez a fini 2e de la parallèle mais s’est rompu les ligaments croisés du genou en finale. Sa saison est terminée. Et puis, cette étape à Oberjoch a rassemblé aussi les épreuves de l’étape annulée en Slovénie donc tout s’est enchaîné très vite, on a eu 6 courses en trois jours. Je n’ai pas eu le temps de savourer ma victoire qu’on a dû tout de suite repartir pour la deuxième session, même le podium s’est déroulé après. Mais bon, j’ai eu droit à la Marseillaise ! Je n’ai pas pu exprimer tout mon bonheur et ma joie tout de suite, c’est plus après que j’ai réalisé.
 
Et alors, que vous dites-vous avec quelques jours de recul ?
Que j’ai obtenu tous mes meilleurs résultats en quelques heures. Dès la première course, je dépasse ma meilleure performance en sprint. Dans la 2e classique, je signe le meilleur temps brut avant d’être rétrogradé à la 3e place car j’ai été pénalisé pour mon saut pas assez long. Je finis 3e en sprint, 4e en parallèle, bref, en quelques heures j’ai vécu des moments intenses. J’avais remporté deux titres de champion du monde junior en 2018 et 2019 sur la classique et un titre de vice-champion du monde junior en sprint avant de réaliser mon premier podium senior en parallèle en Norvège fin 2019 puis en sprint à Pralognan-la Vanoise. Cette fois, j’ai connu plus d’émotions en quatre jours.
 
Cela vous donne de la suite dans les idées, j’imagine ?
Oui même si c’est compliqué de se projeter. L’épreuve prévue à Saint-Gervais a été annulée. Il va y avoir éventuellement Gérardmer, dans les Vosges, début février mais c’est l’inconnu. Ensuite, il y aura une étape en mars en Suisse. On a déjà vécu ça l’année dernière avec une saison qui s’est arrêtée. On est partis sur un mode de fonctionnement à voir jour après jour comme si tout était normal.
 

 
Cette première étape fructueuse renforce-t-elle vos objectifs ?
En démarrant la saison, je ne visais pas une victoire. Tout mon ski n’était pas encore revenu, j’avais besoin de retrouver mes sensations. J’avais surtout en tête de monter sur le podium. Donc cette victoire, je ne m’y attendais pas. Après, le dernier jour, je visais plus haut que la 3e place car il y a une dimension physique qui fait la différence. Des gros enchaînements, c’est mon point fort. Ça a été un avantage pour moi.
 
Vous auriez donc préféré recommencer dès ce week-end ?
Oui mais j’aime bien les défis, et remporter d’autres étapes même si les rendez-vous sont espacés en est un. Je suis 3e au classement général de la Coupe du monde, je vais essayer de garder cette place. Je suis aussi 1er ex aequo du classement du petit globe en classique. Il reste 2 étapes, je veux faire les choses intelligemment, sans prendre de risques déraisonnés. J’ai quelque chose à jouer sur le classement général mais je ne veux pas que ce soit une priorité car si j’en fais une priorité, je risque de faire l’inverse et de déskier.
 
Ces performances permettent au télémark français de sortir de l’ombre…
Oui, même si ce n’est pas cela qui va inciter les stations à organiser des épreuves. Le souci, c’est que la fédération française de ski n’a pas une grosse influence dans le déroulement des courses. Ceux qui paient ce sont les organisateurs, et malheureusement, les retombées économiques sont faibles, surtout en ce moment. Ce qui permettrait à notre sport de se développer, c’est qu’il soit olympique.
 

 
Cela paraît envisageable ?
Oui puisque la FIS a déjà porté un dossier de candidature auprès du CIO il y a 3 ans. On a essuyé un refus mais c’est quand même une grosse avancée. On connaît les raisons de ce refus : le fait que quelques grosses nations du ski, comme l’Autriche, ne pratique pas le télémark, que le circuit ne soit pas développé. Et en même temps, pour développer le sport, lui donner d’autres moyens ou faire en sorte que l’État nous reconnaisse comme athlètes de haut niveau, il faut que le sport soit olympique. Il y a plein de cercles vicieux comme ça et c’est dur d’en sortir. Mais on ne lâche pas et un nouveau dossier, concernant l’épreuve de la parallèle, discipline ô combien spectaculaire et à multiples rebondissements, va être présenté pour les JO de 2026. Aucune idée si je serai encore là. Je serai peut-être de l’autre côté. Je serai ravi soit d’y participer soit d’y assister.
 
En attendant, comment vivez-vous du télémark ?
Avec le moins de frais possible ! Ce sport ne me rapporte pas grand-chose mais il ne me coûte rien. Mes sponsors, autant sur le plan du matériel que financier, me permettent de financer mon activité. Dès 16 ans, j’ai créé mon association pour chercher des partenaires. J’ai tenu à ne rien coûter à mes parents. Ils m’ont aidé en m’avançant de l’argent et j’ai pu les rembourser. Le budget, c’est 10-12 000 euros par saison et très peu de frais sont pris en charge par la fédération française. J’ai perdu un sponsor cet été avec la Covid, j’en ai retrouvé un à l’automne. Et je vis encore chez mes parents, même si l’année prochaine je serai sans doute en alternance. Je suis dans ma dernière année de DUT de génie mécanique à Annecy. Je veux continuer sur une licence dans tout ce qui concerne la conception du plastique que l’on retrouve beaucoup dans le domaine du sport.
 
Comment avez-vous commencé le télémark ?
Je suis issu d’une famille assez impliquée dans la montagne : mon grand-père et mon grand-oncle étaient guides de haute montagne et mon père est responsable du domaine nordique de Samoëns. J’ai donc toujours baigné dans le milieu du ski et pratiqué des sports de montagne. Je suis venu au télémark dès l’âge de 9 ans, poussé par mes parents. Mon frère et ma mère en faisaient déjà, je voulais découvrir une ambiance plus tranquille que le ski alpin. J’ai accroché tout de suite. Ce qui me plaît, c’est la diversité des formats des courses. Le télémark a été inventé par un menuisier dans le Comté de Telemark, en Norvège. C’est l’essence même du ski et en même temps la base. Que ce soit la partie chronométrée du géant avec un saut au milieu sur lequel on va chercher une ligne avec une longueur à respecter, le gros virage relevé qu’on appelle un loom, ou la partie de skating sur 50-100 m à la fin, c’est très complet techniquement et physiquement. Il faut être polyvalent.
 
Et en même temps, vous ne faites pas que ça, le skate ou encore le wakeboard font aussi partie de vos activités…
Petit, j’ai égrainé tous les clubs de la vallée : VTT, tennis, foot, je suis un touche-à-tout. J’aime vraiment pratiquer un maximum de choses, je fais aussi du ski de randonnée, notamment en rentrant de Coupe du monde pour décompresser. Il y a des choses à tirer de tous les sports. Dans le skate, par exemple, il y a tout une proprioception et une partie psychologique – tant qu’on n’y croit pas, on ne peut pas y arriver – qui m’ont aidé dans mes courses.

Propos recueillis par Sylvain Lartaud