Pierre Thévenard : « J’aimerais marcher sur les traces d’Éric Barone »

Richard Bord

Sacré champion de France de VTT de descente sur neige en mars dernier à Pra-Loup, le Lyonnais d’origine qui s’est installé depuis 6 ans à Abondance (Haute-Savoie) vise à 32 ans un record en VTT de vitesse sur terre, l’an prochain sur le volcan Cerro Negro au Nicaragua. Objectif : notamment battre la performance d’Eric Barone, véritable dinosaure de la discipline.  

En quoi consiste votre défi ? 

C’est un projet de record du monde sur terre sur un VTT de descente de série. Il est détenu par l’Autrichien Marcus Stöckl qui a réalisé 167,5 km/h, en 2017, sur un volcan au Chili. C’est un record qui n’a pas été validé au Livre Guinness, peut-être dû au fait que Stöckl est athlète Red Bull et que sa performance a été suffisamment médiatisée par ce biais. Il avait déjà battu en 2011 (en 164,9 km/h) ce record détenu depuis 2002 par Éric Barone avec 163 km/h. Ces deux dernières performances ont été établies sur le volcan Cerro Negro au Nicaragua.

Là même où vous allez tenter votre record.  

Exactement. J’ai prévu d’y aller 15 jours début mars 2023. L’objectif étant de battre un deuxième record avec cette fois un vélo modifié (prototype) détenu également par Éric en 172,61 km/h. À l’époque, sa descente avait fait le buzz puisque son vélo s’était cassé en deux, il avait failli perdre la vie. Après ce crash, il avait d’ailleurs arrêté ses tentatives pendant plusieurs années. En 20 ans, les vélos ont beaucoup évolué : les vélos de l’époque n’étaient pas faits pour aller très vite au niveau des angles de direction et des entraxes de roues. Le diamètre des roues aussi a évolué passant de 26 à 29 pouces. Pour ce deuxième record, mon vélo sera équipé de roues pleines à l’arrière fournies par Mavic.

Avez-vous une idée de la vitesse que vous pouvez atteindre ? 

Je me fixe l’objectif de 170 km/h avec le vélo de série pour le premier record et de 175 km/h avec mes roues profilées pour le deuxième. Je suis souvent en contact avec Éric, il pense que le record est faisable. Sachant qu’on est très dépendants des conditions climatiques : un vent défavorable et c’est tout de suite 10 km/h en moins. En mars, c’est l’été au Nicaragua donc avec plus de chances de bonnes conditions. C’est pour cela que j’y reste 15 jours, le record il peut se battre à 7 heures du matin ou à 20 heures le soir. Il faut être là le jour J.

Avez-vous déjà approché ces vitesses ? 

Oui, sur neige. Le 27 février dernier, j’ai passé le seuil des 165,90 km/h sur la piste du Linga à Châtel, à seulement 1,7 km/h du record sur terre de Marcus Stöckl. En fait, je n’ai jamais couru sur terre, ce sera une première pour moi. Mais je n’ai pas d’appréhension, le Cerro Negro au Nicaragua est recouvert de poussière volcanique. J’en ai parlé avec Éric, c’est la même sensation que sur de la neige. Le terrain sera lisse, un billard comme on dit dans le jargon.

Depuis combien de temps pratiquez-vous cette discipline ? 

Je me suis mis au VTT de vitesse depuis deux ans. Depuis tout petit, j’ai touché un peu à tout dans le vélo : BMX, cross-country, dirt slopestyle puis plus sérieusement VTT de descente que j’ai découvert à la suite d’un voyage à Whistler, au Canada, La Mecque de ce sport. Et pour la vitesse, c’est parti en 2020 d’un pari avec un copain Anthony Villoni. On s’est lancé le défi d’aller le plus vite possible en visant les 140 km/h en descendant la piste de Châtel. Comme cette discipline n’est pas autorisée, au début je montais la piste à pied, avant l’ouverture de la station. La première fois, je pensais atteindre le sommet avec mon vélo électrique mais c’est tellement raide que j’ai fini en poussant jusqu’en haut mon VTT de 22 kg ! Résultat : j’ai fait 139km/h. Sans expérience et sans combinaison. Cela m’a donné envie d’aller plus vite.

Vous avez continué à grimper à pied les 900 m de dénivelé et à descendre en fraude ? 

(rires) Non, depuis l’automne dernier, la station de Châtel m’a autorisé officiellement à utiliser la piste du Linga entre 8 heures et 9 heures et à mettre mon vélo sur le télésiège. Elle m’a aussi mis à disposition un dameur, Edouard Rubin, à chaque fois que je descends, ce qui est très important car le damage est primordial pour gagner en vitesse. Au-dessus de 130 km/h, on a vraiment la sensation de voler. Les secondes défilent très vite mais on a l’impression que le temps s’arrête. J’ai pratiqué beaucoup de sport avec de l’adrénaline mais il n’y a vraiment que la vitesse qui te procure cette sensation. Et quand on goûte à ça, on est poussé par la recherche de cette sensation qui, elle-même, nous pousse à rechercher la performance.

D’où cette envie de records. 

Oui, quand j’étais au collège, j’étais tombé plusieurs fois au CDI sur le Livre Guinness et sur la photo d’Éric Barone avec son record sur neige. Je m’étais dit que peut-être un jour je ferai ça. Puis j’ai oublié, j’ai fait d’autres choses et voilà qu’au fil d’opportunités je me retrouve là avec ce projet. Cela fait plus d’un an que je le prépare, c’est le projet d’une vie pour moi surtout quand on a une vie de famille et un travail. Je suis charpentier de métier et depuis 6 ans, je monte des chalets en bois. Au-delà de l’aspect sportif de ce record, il me reste un autre grand défi à relever.

Lequel ? 

Réunir le budget d’un peu plus de 40 000 euros que j’ai prévu pour mon projet. Pour le moment, j’en ai à peu près un tiers grâce à des sponsors. J’ai remporté début mars les premiers Championnats de France de descente organisés sur neige, ce qui m’a apporté beaucoup de notoriété et de crédibilité. Dans le milieu, tout se joue par le bouche-à-oreille. Je cherche bien sûr d’autres partenaires qui voudraient me soutenir, par des aides aussi bien financières que matérielles. Cela va me permettre, par exemple, de suivre en juillet des séances en soufflerie au centre Cmefe d’Hepia à Genève pour améliorer ma position sur le vélo, vérifier tout mon matériel et préparer au mieux ce projet.

Lequel sera suivi d’autres tentatives ou ce sera un one shot ? 

Oh non, j’ai des perspectives plus larges et une idée bien précise en tête : me faire un nom sur terre à travers ce record puis enchaîner sur des tentatives de record sur neige à Vars. Pour cela, il faut fabriquer un prototype pour la neige et là, c’est un budget de 150 000 euros. Ce n’est donc pas pour tout de suite mais pourquoi pas à horizon 2028 !

Vous voulez devenir le nouvel Éric Barone si on comprend bien ? 

J’aimerais marcher sur ses traces, c’est clair. Je pense en avoir le potentiel, la motivation aussi (rires).

Propos recueillis par Sylvain Lartaud