La vie continue pour le média FrancsJeux

21 October 2019; Olympic rings are seen outside the Tokyo Olympic Stadium ahead of the 2020 Tokyo Summer Olympic Games. The Tokyo 2020 Games of the XXXII Olympiad take place from Friday 24th July to Sunday 9th August 2020 in Tokyo, Japan, the second Summer Olympics Games to be held in Tokyo, the first being 1964. Photo by Brendan Moran/Sportsfile Photo by Icon Sport

Un seul média francophone traite du mouvement sportif international : FrancsJeux. Faute d’argent, le site a failli fermer, mais une grande mobilisation a permis de le sauver. Alain Mercier, rédacteur en chef, revient sur cette aventure.

 
Quelles sont les spécificités de FrancsJeux par rapport aux autres médias qui abordent des thématiques sportives ?
FrancsJeux se distingue par la nature des sujets que l’on traite sur le mouvement sportif international, c’est-à-dire sur les fédérations internationales, le Comité international olympique (CIO) ou encore les candidatures aux Jeux olympiques, mais aussi pour d’autres grandes compétitions. Nous sommes le seul site en langue française présent sur cette actualité. Nous relatons la préparation des événements, mais nous ne suivons pas les résultats sportifs. Des articles ou des brèves assez longues sont publiées au quotidien. Par exemple, nous avons traité pendant plusieurs jours la décision du CIO de délocaliser le marathon et les épreuves olympiques de marche à Sapporo, à plus de 1 000 km de Tokyo, en août prochain. C’est l’actualité qui décide de ce que l’on va écrire.
 
Comment parvenez-vous à alimenter le site ?
Pour ma part, j’assure 95 % de la partie éditoriale. Étant basé à Bangkok, en Thaïlande, je suis du bon côté de la Terre pour suivre la préparation des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo, ainsi que des JO d’hiver de Pékin en 2022. Je n’ai pas le problème du décalage horaire pour passer des appels ou me déplacer si besoin. Quand la compétition commence, nous laissons les autres médias faire le relais des résultats, donc ça ne justifie pas d’être sur place. En presque 7 ans, j’ai réussi à constituer un réseau. Quand je cherche une information, je sais où la trouver. Pour Tokyo 2020, j’ai des contacts sur place pour trouver les sujets. Les Japonais alimentent beaucoup en informations, mais ce n’est pas évident d’avoir une interview. Par ailleurs, une personne est en France pour assurer la partie commerciale.
 

Une actualité uniquement anglophone, « ce n’était pas normal »

 
Quel a été votre cheminement pour concevoir ce site qui traite du mouvement sportif international ?
Le site de FrancsJeux a été créé en France en 2013 et est toujours édité par Alinéa, une agence de presse pour laquelle je travaille en qualité de directeur de presse. À l’époque, elle partageait ses bureaux avec une petit agence de communication et de lobbying qui a notamment travaillé sur les candidatures de Tokyo et d’Istanbul pour obtenir les Jeux olympiques de 2020. Nous avons constaté ensemble que tous les sujets qui traitaient cette actualité étaient relatés uniquement par des sites anglais et américains et on s’est dit que ce n’était pas normal. Nous sommes partis du constat que la presse francophone était absente de cette thématique et qu’il y avait quelque chose à faire. FrancsJeux a été le fruit de cette réflexion.
 
Comment faisiez-vous vivre FrancsJeux ?
Nous nous sommes lancés en 2013 avec peu de moyens, parce que ça ne demande pas grand-chose de créer un site. Nous avons reçu le soutien de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), qui défend la langue française dans le monde et qui a vu d’un très bon œil l’arrivée de FrancsJeux. Parmi ses nombreuses missions, l’OIF s’assure que le Français reste une des langues officielles des Jeux olympiques, alors qu’il est de plus en plus menacé. On l’entend de moins en moins lors des moments officiels et il est moins présent sur la signalétique. En plus de l’OIF qui parraine une rubrique, bon an mal an, nous avons, chaque année, trouvé suffisamment de quoi faire vivre FrancsJeux.
 

 

« On m’a demandé de ne pas arrêter »

 
Pour quelles raisons, envisagiez-vous de cesser l’activité de votre site ?
En 2019, nous n’avons plus eu de soutiens, ni d’annonceurs. Nous avons fait une année avec quelques milliers d’euros. Je me suis dit qu’il n’était plus possible de continuer. J’ai posté un article le 28 octobre pour annoncer l’arrêt du site fin décembre, pas de manière volontaire, mais par manque d’argent si aucune solution n’était trouvée. Le message a fait un petit buzz dans le mouvement sportif francophone et international. J’ai reçu des appels et des messages venus de pays francophones, mais aussi de Grande-Bretagne, des États-Unis et du Japon me demandant de ne pas arrêter FrancsJeux, car le média a trouvé sa place. Le comité d’organisation « Paris 2024 » a été l’un des premiers à se manifester et j’ai aussi reçu un appel du CIO. Ce sont des soutiens national et international auxquels je ne m’attendais pas forcément.
 
Quelques jours plus tard, le 7 novembre, vous annonciez « FrancsJeux vivra », que s’est-il passé ?
Une solution a été trouvée une semaine après mon message. Nous nous sommes associés à Olbia Conseil, une agence de conseil dans le sport basée à Paris et très impliquée dans la même sphère que nous, pour un partenariat qui débutera en janvier 2020. Je continue d’assurer la partie rédactionnelle et ils se sont engagés à faire vivre FrancsJeux jusqu’en 2020, 2021 et ainsi de suite. À eux de trouver des partenaires pour se rembourser. Olbia Conseil est très présente dans le mouvement sportif francophone, entourée de potentiels annonceurs pour le site et a commencé à monter un comité de soutien. Je ne doute pas qu’ils vont trouver.
 
Après cette frayeur, quelles sont vos perspectives pour FrancsJeux ?
Sur le plan éditorial et rédactionnel, il n’y a pas de raisons de bouleverser le travail puisque les gens disent que FrancsJeux est bien. Avec Olbia Conseil, nous pouvons compter sur des gens performants pour élargir la base de nos lecteurs, être plus présents sur le terrain lors des événements et avoir plus de sujets à nous. J’aimerais m’appuyer sur de nouvelles plumes, notamment à Paris, étant moi-même situé loin. Avec les JO de 2024, nous voulons aller au-delà de l’actualité, essayer de trouver des sujets face à nos concurrents anglophones. C’est la nouvelle dynamique que je voudrais pour FrancsJeux, être plus nombreux à écrire sur le site. 2020 sera une année importante avec les JO à Tokyo et les Jeux olympiques de la jeunesse d’hiver à Lausanne en janvier. En septembre débutera l’olympiade vers les JOP de 2024 et tous les regards vont se tourner vers Paris. Nous devrons être capables d’aller aussi vite que l’actualité et pour ça il faudrait plus de rédacteurs.

Une émotion et la mobilisation :

Thomas Remoleur, directeur associé d’Olbia Conseil, raconte l’émotion ressentie en apprenant la fin programmée de FrancsJeux : « Nous avons vu l’article du 28 octobre et, comme beaucoup de gens, nous avons trouvé dommage que FrancsJeux, un média de qualité et le seul francophone présent sur l’actualité du sport international et de l’olympisme, ferme la porte. Nous sommes entrés en contact avec Alain Mercier et il est apparu petit à petit que la seule solution pour essayer de le relancer était de s’associer à lui. » L’engagement d’Olbia Conseil auprès de FrancsJeux démarrera en janvier 2020. Une fois l’émotion passée, la construction d’un modèle économique pérenne est à l’ordre du jour. « Nous avons créé un comité de soutien réunissant des institutions et des entreprises pour se donner du temps », explique Thomas Remoleur. « Globalement pour ce type de média, il existe deux modèles économiques : l’abonnement ou la publicité et le partenariat de rubrique. On veut que FrancsJeux reste gratuit. Nous allons proposer le deuxième modèle, mais on ne s’interdit rien. » Une des conditions d’Olbia Conseil pour sauver FrancsJeux était de poursuivre avec Alain Mercier en tant que rédacteur en chef. « Nous ne toucherons pas à la ligne éditoriale ! », insiste le co-président. « Nous nous associons à Alain Mercier, un excellent journaliste, pour débuter une nouvelle aventure avec lui. »

Par Leslie Mucret