Kevin Tillie : « Je suis fan de mes frères »

Père comblé, nouveau joueur du Top Volley Cisterna en Italie, international tricolore qualifié pour les Jeux Olympiques, Kevin Tillie a de quoi être un homme heureux. Confidences d’un compétiteur très attaché à sa famille de champions.

Kevin, comment est-ce que vous avez vécu cette période compliquée ?
Pour moi, c’est un peu particulier parce que je viens d’avoir un bébé. Du coup, j’ai eu un peu de temps pour m’occuper de ma fille, et j’étais content d’être à la maison avec elle, d’aider ma femme. Ma femme était contente, j’étais tout le temps à la maison ! Homme au foyer, père au foyer. Mais après, c’était vraiment compliqué sur le plan sportif, surtout au début. On ne savait rien, on était dans l’attente. A un moment on parlait de l’annulation des Jeux Olympiques, c’était dur pour nous car on venait de se qualifier, et c’est le rêve de tous les volleyeurs et de tous les sportifs. C’est annoncé pour l’année prochaine, mais ce n’est pas encore sûr, et s’ils prennent la décision de les annuler complètement, ce sera difficile à vivre pour beaucoup d’athlètes. Concernant le championnat polonais, nous étions dans l’attente pendant deux semaines, afin de savoir si on allait reprendre ou pas. C’était un peu bizarre, on faisait ce qu’il fallait pour rester en forme et pour être prêt à reprendre, mais finalement ils ont annoncé que le championnat serait annulé. Il y a eu un peu de relâchement du coup, je me suis dit que ça allait être un été un peu tranquille, pour se reposer. J’en ai profité pour voir ma famille depuis que je suis rentré en France, et pour m’occuper du bébé. Et désormais, je me prépare pour la reprise.
Avec cette crise sanitaire, l’avantage, c’est que les voyages incessants du volleyeurs ont pris fin…
C’est clair que c’est une bonne chose pour le corps, et pour la tête aussi. On essaye toujours de trouver le côté positif. Les volleyeurs ont très peu de repos, nous avons énormément de compétitions pendant l’été avant d’enchaîner avec les compétitions en club. Avoir un repos comme ça, c’est fou pour un volleyeur international, c’est très rare. On va dire que c’est un petit plus afin d’être prêt pour les Jeux Olympiques l’année prochaine. Et même pour les années qui suivent. J’ai l’impression que grâce à cette période de repos, je vais peut-être pouvoir continuer ma carrière un peu plus longtemps.
Vous êtes devenu père juste avant de vous qualifier pour les J.O. avec les Bleus. Cela devait être une période spéciale à vivre…
C’était dur parce que j’étais avec ma femme, les parents allaient venir après la naissance. Pour la naissance, je voulais être là, avec elle. Le bébé n’arrivait pas, il était prévu pour le 8 janvier, en plein milieu du tournoi de qualification olympique. J’espérais que ma petite fille allait arriver un peu plus tôt. Quelques jours avant le début de la compétition, ma femme me dit que si le bébé n’arrive pas le lendemain, je dois rejoindre l’équipe de France parce qu’elle sait qu’une qualification pour les Jeux Olympiques, ça n’arrive pas souvent dans une carrière, même si la chose la plus importante pour elle était que je sois à ses côtés. Elle me dit en revanche qu’à la moindre petite alerte, je dois prendre un avion et revenir près d’elle. On s’était dit qu’on ferait comme ça, mais le bébé est finalement arrivé le lendemain (le 3 janvier), dans la nuit. C’était dur de partir, mais les parents de ma femme sont arrivés le jour où je prenais l’avion. Ma fille est née le vendredi, je suis parti le samedi et on jouait le dimanche à midi. Moi qui n’avais pas fait de volley depuis quelques semaines, je suis arrivé dans une forme physique incroyable, avec plein d’adrénaline, mais en revanche, je n’avais aucune lucidité. J’avais la tête ailleurs, mais j’étais super content d’être là avec le groupe. C’était un tournoi où nous n’étions pas favoris, on était mal parti pour y arriver avec les blessures, les autres équipes qui étaient en forme. Mais on a pleinement vécu ce moment, c’était vraiment incroyable, une semaine de folie.

 » Des Jeux Olympiques sans public, ce serait très bizarre « 


Comment expliquez-vous les bons résultats des Bleus ces dernières années ?
On a eu une jeune génération qui a su se montrer sur la scène internationale, et ça a tiré les autres joueurs vers le haut. Je trouve qu’une culture volley est arrivée grâce à cette génération. Après, on avait l’envie de montrer que l’on pouvait gagner. C’est une mentalité de tout un groupe qui voulait se défoncer sur le terrain pour montrer ce dont il était capable. Malgré quelques désillusions, il y a quand même eu de très bons résultats. C’est très difficile d’être régulier au plus haut niveau, surtout au volley avec beaucoup de compétitions et une grosse concurrence mondiale. Cette carrière en équipe nationale, je ne m’y attendais pas, mais j’ai adoré tout ce qu’on a pu réaliser. C’est fun d’être avec un groupe de potes et de réussir à gagner.
Avez-vous parlé du report des Jeux Olympiques avec vos coéquipiers de l’équipe de France ?
On a un groupe WhatsApp où on parle souvent. On avait peur que les Jeux Olympiques soient annulés. On espérait que, malgré le Covid-19, les JO allaient avoir lieu. On a vite compris que ce serait impossible. Nous avons été soulagés du report à l’année prochaine, mais maintenant, il faut attendre. Si les Jeux ont vraiment lieu, on aura eu un peu de repos pour bien se préparer.
Des Jeux Olympiques sans public, vous y croyez ?
Ce serait très bizarre ! J’ai signé en Italie, et le championnat va commencer sans public, ça va être vraiment étrange. Alors pour les J.O., un événement planétaire qui réunit tous les sportifs, si c’est vide, il va y avoir beaucoup de déçus.
Avez-vous été inquiet pour le volley pendant cette crise, qui a fait des dégâts dans le monde du sport ?
Oui, parce qu’au volley, les clubs ont en général beaucoup de petits sponsors. Ces sponsors-là ont perdu beaucoup d’argent, donc investir dans le sport n’est pas leur priorité en ce moment. Dans certains clubs, il y a des pertes de salaires, il y a même des clubs qui font faillite. C’est un grand pas en arrière pour le volley, et c’est dommage, car j’avais vraiment l’impression que le volley était bien installé au niveau européen. Il commence à y avoir de gros clubs, de gros joueurs qui viennent en Europe, de gros salaires. Avec cette crise sanitaire, c’est un petit retour en arrière.
Pourquoi avez-vous choisi de revenir jouer en Italie ? Le pays vous manquait ?
Le championnat polonais est super, le club où j’étais aussi, mais il a eu des petits soucis économiques, c’était donc difficile de rester là-bas. J’ai eu l’opportunité d’aller en Italie, dans un club qui n’est pas forcément un Top Club mais qui veut faire quelque chose de bien, qui veut créer une belle équipe autour de moi. C’est un bel objectif à un an des Jeux Olympiques, avec un club qui me fait vraiment confiance. Le championnat italien est l’un des meilleurs du monde. J’espère apporter mon expérience au club et faire une belle saison pour arriver en forme aux J.O. l’année prochaine.
Vous allez retrouver des coéquipiers de l’équipe de France…
Dans chaque championnat, il y a maintenant souvent plusieurs Français. Beaucoup de joueurs tricolores évoluent à l’étranger. On aime bien se voir quand on en a l’occasion, prendre un petit café ensemble, ça fait toujours du bien. Cette année, je serai le seul dans mon équipe, ça va me faire un peu bizarre.

 » Je suis le chouchou de ma maman « 

Parlons un peu de la famille. Est-ce que les relations père-fils et sélectionneur-joueur se ressemblent ?
C’est complètement différent, la seule similarité, c’est peut-être la frustration. Entre un père et un fils, ça peut être frustrant de dire ou ne pas dire certaines choses. C’est la même chose entre un coach et un joueur. Ce n’est pas facile, car même si on est en face du coach, on sait que c’est aussi le père et on a du mal à l’écouter. Le coach va aussi entendre le joueur tout en sachant que c’est également le fils… C’est un peu compliqué, mais ça fait très longtemps qu’on se côtoie en équipe de France, depuis 2012. On commence à avoir l’habitude, et les autres joueurs sont aussi habitués à cela. Et ils savent que si j’ai ma place en équipe de France, ce n’est pas parce que le sélectionneur est mon père. Il n’y a aucun souci de ce côté-là.
Vous avez parlé avec votre père de son nouveau rôle de coach au Japon ?
On en a parlé un petit peu, il a beaucoup de travail en ce moment, avec des réunions par Skype. Ça va être une belle aventure pour lui, c’est cool. J’adore le Japon, lui aussi, je pense qu’il va être content là-bas. Culturellement, c’est très différent, et je pense qu’en tant qu’entraîneur principal, il va devoir faire beaucoup de choses qu’il n’a pas l’habitude de faire. Il y a beaucoup de règles au Japon, mais il va s’adapter.
Plus jeune, vous imaginiez avoir un jour votre père comme entraîneur ?
Non, on ne pensait pas à ça. Moi, j’ai arrêté le basket pour jouer au volley avec mes copains, au collège. On a tous commencé ensemble, et l’envie de continuer est venue petit à petit. Pour lui c’est pareil, après sa carrière de joueur, il avait ouvert son cabinet de kiné. Il a eu l’opportunité d’être coach et il ne s’y attendait pas vraiment. Il a d’abord fait les deux en même temps, avant de finalement se tourner vers une carrière d’entraîneur. On ne s’était pas dit que l’on se retrouverait dans une équipe.

Comme vous êtes le seul à avoir choisi le volley, vous êtes le chouchou de vos parents ?
Oui, je suis le chouchou de ma maman, mais du coup, c’est plus dur avec mon père parce que je dois l’écouter, ce qui n’est pas le cas de mes frères. Ma mère adore que je fasse du volley, parce qu’elle était volleyeuse aussi. Elle est contente qu’il y ait un volleyeur de plus dans la famille. Mais le basket, c’est sympa aussi, moi j’adore ! Je regarde tous les matchs de mes frères. Mes parents adorent aussi regarder du basket, mais je pense que c’est un peu plus frustrant pour eux.
Souhaitez-vous débuter une carrière d’entraîneur dans le futur, et suivre un peu plus le parcours de votre père ?
J’y ai réfléchi. Quand je vois les entraîneurs, je me dis toujours que c’est un travail compliqué, avec la frustration de ne pas pouvoir jouer. Pour le moment, si je deviens entraîneur, ce sera plus auprès des jeunes. Souvent, c’est comme ça que ça commence. Ça pourrait être sympa. Plus je vieillis et plus j’avance dans ma carrière, plus je vois que je pourrais le faire, mais c’est encore loin. Et je ne sais pas si ça me plairait vraiment.
Comment va Killian, votre petit frère, qui a été élu athlète masculin de l’année de son université de Gonzaga ?
C’est un peu compliqué, ils annoncent que la NBA va reprendre et que la Draft serait en octobre. Lui, il n’attend que ça. Et de toute façon, on sera toujours fier de ce qu’il a fait et de ce qu’il fera. Sa carrière à l’université, c’était quelque chose de beau, de génial. Il a vécu une expérience incroyable. Il a fait un Final Four, et la March Madness tous les ans. Malgré les blessures, c’était génial.
C’est vrai que vous jouez à NBA 2K sur console et que vous avez créé un joueur qui ressemble à Killian ?
Mais comment vous savez ça ? C’est lui qui vous l’a dit ? C’est vrai en plus ! Quand je joue, je n’aime pas me faire moi-même, parce que je suis nul. Je crée soit mon grand frère, soit mon petit frère. Comme le mode Carrière commence à l’université, j’ai fait mon petit frère. Et quand je fais le scan de ma tête pour mon joueur, ça ressemble à Killian, donc c’est parfait. Je suis fan de mes frères, je crois que ça se voit. Et la carrière se passe bien, je suis en NBA, chez les Miami Heat.

Propos recueillis par Simon Bardet