À l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le 25 novembre, le parcours de Karine Boucher résonne avec une intensité particulière. Victime d’une tentative de féminicide en 2010, elle a reconstruit sa vie grâce au golf, devenu pour elle un moteur physique, mental et un espace de renaissance. À travers ce sport, elle a retrouvé confiance, liberté et engagement.
Le 16 novembre 2010, la vie de Karine Boucher bascule. À la sortie de l’école, son ex-compagnon l’attend avec un fusil de chasse. Trois coups de feu, tirés en visant la tête. Touchée à l’épaule, Karine Boucher survit, mais doit être amputée d’un bras. S’ensuivent cinq mois d’hospitalisation et dix-huit mois de rééducation. En fin de parcours, une éducatrice sportive lui parle pour la première fois de golf : « J’avoue que j’ai éclaté de rire, confie Karine Boucher, je lui ai dit « mais t’es gentille, moi j’étais droitière, je ne tiens pas debout, je n’ai pas de souffle. Non, ça ne va pas être pour moi.« . » L’idée est pourtant bien réelle : le club de golf de Saint-Omer souhaite ouvrir une école de Handigolf et cherche des patients pour une initiation de plusieurs semaines.
Des premières séances qui changent tout
Inscrite d’office, elle finit par accepter. Le golf n’est qu’à une quinzaine de kilomètres de chez elle et la sortie du centre approche. L’avenir est flou, l’horizon très sombre. Les premières séances la surprennent. De découverte en découverte, Karine Boucher s’attache à la discipline, à l’ambiance, aux bienfaits et à la possibilité, simplement, de sortir de chez elle. Très vite, le golf s’installe dans son quotidien. « Non seulement je continuais tous les mardis, mais j’ai pris ma licence et j’ai commencé par le practice. J’y allais quand je me sentais capable physiquement et aussi quand j’en avais besoin. » Sur le parcours, elle trouve une place, malgré le handicap. « J’ai compris qu’en réalité, je pouvais jouer des compétitions avec les gens du club. Donc je n’étais pas toute seule finalement. Parce que le golf, qu’on soit valide ou handi, c’est la même façon de jouer. Ce qui me faisait plaisir aussi, c’est que les joueurs me disaient : « mais comment tu fais pour jouer avec un bras ? Moi, je n’y arrive pas ». Ils essayaient, et moi je tapais très bien la balle. J’aimais bien ce côté « je me bats à votre place ».«
Le golf, médicament et terrain de confiance
Au départ, Karine Boucher peine à marcher. Neuf trous lui semblent une expédition. À force de parcours, les repères changent et le corps se reconstruit. « Physiquement, j’ai commencé à retrouver des muscles, un bon rythme cardiaque, un bon souffle. » Mais c’est dans la tête que les effets sont les plus forts. Le golf devient une bulle d’air, un espace où elle peut mettre à distance le traumatisme. « Quand on est atteinte dans son corps, on l’est aussi dans sa tête. J’ai compris que si je tapais mal la balle, c’était moi qui tapais mal, parce que je n’étais pas suffisamment concentrée. Il fallait que j’oublie tout le côté négatif pour me concentrer sur une seule chose : ma balle. » Trou après trou, la discipline structure sa journée, lui redonne prise sur sa vie. « Si je n’avais pas eu ça pour redémarrer ma nouvelle vie, je ne sais pas du tout où j’en serais aujourd’hui. Parce que j’ai repris confiance en moi, j’ai appris à me reconcentrer, à être combative aussi. En parallèle, j’avais, quand même, sur le plan personnel vraiment des choses très lourdes à gérer. Ma bouée de sauvetage, c’était jouer au golf. Je pouvais y rester une demi-heure, une heure, trois heures, toute la journée.«
« Moi qui ne valais rien aux yeux de personne, je devenais enfin une personne »
La liberté qu’offre le golf devient un atout décisif. Venir seule ou accompagnée, pratiquer en loisir ou en compétition, adapter le temps de jeu à la forme du jour : autant de variables qui permettent à Karine Boucher de reconstruire un rapport choisi à son corps. Au fil des années, elle s’aligne en compétition Handigolf, progresse, s’accroche. Jusqu’à atteindre la première place du ranking mondial chez les dames amputées de bras au-dessus du coude. « Je me suis dit, avec tout ce qui m’est arrivé dans la vie, jusqu’au point d’une tentative de féminicide, qui a entraîné ce handicap, moi qui ne valais rien aux yeux de personne, je devenais enfin une personne. Quelqu’un qu’on peut regarder pour motiver des troupes, pour motiver des gens dans la même situation que moi.«
De la pratique à la transmission
Cette année, si la maladie l’a tenue éloignée des parcours, Karine Boucher reste au cœur de l’écosystème du golf. Déléguée Handigolf pour les Hauts-de-France, mais aussi blouse rose, elle promeut la discipline auprès des personnes en situation de handicap, dans les clubs comme en EHPAD. Elle raconte ainsi cette résidente, silencieuse, qui saisit d’elle-même un putter et retrouve spontanément des gestes de golf oubliés. « C’est incroyable ce que peut faire un simple tapis, une balle et un putter. Pour moi, c’est comme si on me disait merci. Je vois tellement de jolies choses que ça vaut le coup d’avoir pris une journée pour des initiations.«
Un engagement contre les violences faites aux femmes
Son engagement dépasse le cadre des fairways, investie auprès des femmes victimes de violences conjugales, elle est marraine, pour la troisième année, d’une course lilloise contre les violences faites aux femmes. « Chaque année, on est de plus en plus nombreux, donc le public est de plus en plus averti. Même si le chiffre des violences augmente, je me dis que ce serait pire s’il n’y avait pas autant de gens investis pour cette cause. » Conférences, interventions, témoignages, livre (De toutes mes forces, renaître, paru en 2025) : Karine Boucher met son parcours au service de la prévention. Avec une conviction forte : le sport peut être un appui décisif dans l’ »après ». « Quand le corps est réparé, quand le corps va bien, la tête suit. Se mettre au sport, c’est déjà être sur la bonne voie de guérison. » À celles qui songent à la course à pied, à la natation, au yoga ou, comme elle, au golf, elle adresse le même message : essayer, oser, recommencer ailleurs si besoin. « Il ne faut pas hésiter. Prendre soin de soi, c’est déjà important. Moi, c’est au travers du sport que ma reconstruction est passée. J’ai eu de la chance de pouvoir faire ça et d’en tirer d’excellents bénéfices pour ma santé. » Sur les greens comme sur la ligne de départ des courses solidaires, Karine Boucher illustre, au quotidien, ce que peut devenir le sport : un terrain de soins, de combat et de transmission.
