Isia Basset : « On m’a déjà oubliée, je peux donc de nouveau créer la surprise »

L’orienteuse lyonnaise, qui avait glané une inespérée médaille de bronze aux Mondiaux de 2018, espère renouer avec cet exploit lors des prochaines compétitions internationales, les premières depuis un an et demi : les Championnats d’Europe dans quinze jours en Suisse, puis du Monde cet été en République tchèque.

 

Comment vous sentez-vous à quelques jours de retrouver enfin une compétition internationale ?

Disons que je vis cela avec un peu d’incertitude, dans la mesure où on va se jeter dans l’inconnu car on ne sait pas à quoi s’attendre en termes de résultats. Cela fait un an et demi que nous n’avons pu se comparer avec les autres athlètes. On va se sentir un peu rouillés au début. Donc il y a un peu d’appréhension mais il y a surtout de l’impatience. J’ai hâte de recourir une compétition après un an et demi de volume hivernal.
 

C’est le nom donné dans le milieu de la course d’orientation au bloc d’entraînement de 6 mois. Cette année, faute de compétitions à cause du contexte sanitaire, il a duré un an et demi.

Oui, il ne s’est rien passé en 2020 : aucune compétition internationale et une seule épreuve nationale. Après, on a eu la chance de suivre plusieurs stages de préparation en automne à l’étranger, notamment en République tchèque. Cela a été une année particulière mais durant laquelle j’ai trouvé des ressources pour rester motivée et bien progresser, entre chez moi dans le Gard et en Auvergne-Rhône-Alpes lors des rassemblements avec le pôle France situé à Saint-Etienne. Même si j’ai du mal à estimer quel niveau je peux atteindre aujourd’hui, j’ai bien profité de cette crise sanitaire pour réaliser un gros bloc d’entraînement.
 

Comment aviez-vous vécu votre médaille de bronze en 2018 ?

Je ne sais pas si elle a changé beaucoup de choses dans ma vie. Je n’avais jamais réussi jusque-là à mettre tous les œufs dans mon papier le même jour, et ce jour-là, tout s’est passé comme sur des roulettes. J’ai trouvé le bon flow pour obtenir un résultat bien meilleur par rapport à ce que j’avais espéré. Ça fait très plaisir, c’est venu récompenser un paquet d’années d’investissement. C’était une belle récompense également pour la fédération parce que c’était la première médaille à ce niveau pour une Française. C’était un chouette moment.
 

Le genre de moment que vous aimeriez revivre cette année… quelles sont vos ambitions ?

Exactement, j’ai envie de prouver que je suis capable de le refaire une deuxième fois. J’ai envie de stabiliser mes résultats dans le Top 10 voire de réussir d’autres exploits. Depuis cette médaille, je n’ai pas été en réussite : l’année 2019 a été compliquée, j’ai été beaucoup blessée et je n’arrivais pas à combiner sport et activité professionnelle (elle est ingénieure en génie civil et urbanisme, diplômée de l’INSA de Lyon). Donc pour cette année, cela m’enlève un peu de pression. On m’a déjà oubliée, je peux donc de nouveau créer la surprise (rires).
 

Pour le grand public, la course d’orientation s’apparente plutôt à un loisir. Racontez-nous votre sport.

Effectivement, dans l’esprit des gens, la CO est avant tout un sport loisir mais il faut bien comprendre qu’il peut se pratiquer par tout le monde un peu partout, à différents niveaux : en mode balade en famille alors que nous, nous recherchons la performance. Le but, c’est de réussir à tout optimiser : les itinéraires, la lecture des cartes, la vitesse de course. Pour mettre le moins de temps possible à gagner l’arrivée d’un parcours totalement inconnu à travers un certain nombre de points de passages qu’on nous impose. On part toutes les 2 minutes en départs échelonnés, on a entre 15 et 20 balises à poinçonner, avec seulement sa carte et sa boussole.
 

Comment vous avez commencé la course d’orientation ?

Mon père avait été invité par un collègue à essayer et c’est comme ça que tout a commencé. Ensuite, toute la famille s’y est mise : d’abord au Club des sports de montagne de Rillieux-La-Pape puis depuis quelques années à l’Asul Sport Nature de Villeurbanne – ma mère est d’ailleurs la présidente du club. Tout le monde a bien accroché à ce sport très convivial, on y passait tous nos week-ends, nos vacances. On a commencé à faire de la compétition, mon grand frère Lucas a fini 2e en individuel aux Mondiaux en 2015 et a plusieurs médailles par équipes. Il sera lui aussi en lice cette année.
 

Qu’est-ce qui vous plait dans ce sport ?

Le fait que c’est hyper varié. Entre une forêt dans le sud de la France et une forêt dans le Pilat (dans la Loire), les caractéristiques sont très différentes. Il faut adapter sa technique de course à chaque terrain. On est au milieu de la nature, en liberté, c’est vachement plaisant comme sensation. Et puis, les formats sont aussi très différents d’une course à l’autre : de longue distance d’1h40, de 9-10 km à 12-13 km, à moyenne distance de 35 minutes, en passant par le sprint en milieu urbain de 15 minutes (sur 4 km). C’est ce qui a au programme des Championnats d’Europe à Neuchâtel, tout se fait en ville. Il y aura une épreuve individuelle, un relais mixte et un KO sprint dont je n’ai jamais réussi à passer la phase de qualification. Ce sera l’un de mes objectifs : être dans les 36 premières pour espérer disputer un quart de finale et une demie.
 

Comment vivez-vous que ce sport reste en France complètement dans l’ombre ?

Un peu plus de connaissance du sport ferait vraiment plaisir. C’est sûr qu’il n’est pas vraiment reconnu en France : il faut expliquer à chaque fois ce qu’on fait, qu’on s’entraîne plusieurs fois par jour, qu’on part souvent à l’étranger. Il y a un gros décalage entre la France et la Scandinavie où la CO est très médiatisée. En Suède, notamment, où les compétitions majeures sont retransmises sur les chaînes nationales et où Tove Alexandersson a été élue en 2019 sportive de l’année, tous sports et athlètes confondus.
 

La CO un jour aux JO, c’est possible ?

C’est le rêve de la fédération internationale, on avait posé une candidature pour Paris 2014 mais cela parait inaccessible. La CO aux JO apporterait énormément de reconnaissance mais dans le même temps impliquerait des changements. Pas forcément en bien. Aujourd’hui, dans la CO, il y a très peu d’argent en jeu, donc pas de dopage et tout repose sur le fair-play. Personne ne triche pour aller reconnaître les parcours avant les épreuves, par exemple. Cela changerait la face du sport qu’on pratique aujourd’hui. On en avait eu un aperçu lors des Jeux mondiaux militaires en Chine en 2019 : les Chinois ont été éliminés après avoir triché, ils avaient reconnu les parcours avant.

Propos recueillis par Sylvain Lartaud