Isabelle Yacoubou : Maman au plus haut niveau

Sportive accomplie, maman comblée, Isabelle Yacoubou décrocherait certainement la médaille d’or au championnat du sourire et de la gentillesse. Après de nombreux voyages, la basketteuse tricolore a posé ses valises à Bourges où elle enchaîne les performances de haut niveau quand les pépins physiques la laissent tranquille. Interview d’une grande dame du basket français.

 
Isabelle, comment se passe l’aventure berruyère ?
Après la maternité, après la maladie, le Covid, cela a été un peu périlleux, j’ai eu du mal à démarrer. Comme je le dis avec humour, je suis un moteur diesel, la mise en route est un peu délicate et il faut un peu de temps, mais quand la machine est lancée, elle l’est pour de bon. J’espère pouvoir reprendre assez vite pour confirmer cela.
 
Bourges réalise une excellente saison. L’objectif, c’est le titre en fin d’année ?
Oui, absolument. Partout où je suis passée, c’était pour gagner, et Bourges ne fait pas exception. J’ai envie de soulever ce trophée, c’est pour cela qu’on s’entraîne, qu’on se fait mal tout le temps. Pour avoir la satisfaction de gagner un titre et se dire que tous les efforts n’ont pas été vains. Nous voulons aller chercher les deux titres qui nous restent à jouer.
 
La déception de l’élimination en Euroligue est passée ?
Une déception, oui et non. Personnellement, l’analyse que j’en fais, c’est que l’on n’a jamais été au complet. Pendant un mois, on ne peut même pas commencer la saison à cause des cas de Covid dans l’équipe. Cela a énormément diminué l’équipe avec trois filles touchées. Trois filles sur onze, c’est quasiment 30% de l’effectif en moins. Il a fallu commencer la saison sans ces filles-là. Ensuite, on a perdu des filles sur blessure. Nous sommes onze dans l’effectif, mais depuis le début de saison, on n’a pas pu jouer un seul match ensemble. Face à des équipes comme Galatasaray, ou quand on laisse passer l’opportunité de gagner contre Basket Landes lors du premier Hub, c’est difficile, surtout qu’avant ce rendez-vous, Basket Landes avait recruté trois joueuses de gros calibre. Mais on n’a pas à rougir de notre parcours. Je pense que le petit regret, c’est cette défaite contre Basket Landes, mais le sport, c’est savoir tourner la page et passer à autre chose. Quand tout va bien, il faut surfer sur la vague et profiter. Quand ça va moins bien, il faut avoir cette résilience, cette capacité à se dire qu’il faut repartir, à se remettre à chaque fois en question, à se relever. On a tourné cette page-là, en retenant le positif de cette campagne en Euroligue, courte mais très instructive. Pour l’instant, on réussit plutôt bien parce qu’on arrive à maintenir un niveau défensif de niveau Euroligue. C’est ce qui nous permet d’être invaincues en championnat.
 

« Le retour en France n’était pas prémédité »


Est-ce que ça a été simple de revenir jouer en France la saison dernière, après avoir beaucoup voyagé ?
Non, ça n’a pas été facile du tout, surtout que ce retour n’était pas prémédité. Très tôt, j’ai fait le choix de partir à l’étranger, toujours à la recherche de victoires et de titres. Très sincèrement, je ne pensais jamais revenir en France. J’ai eu une opportunité quand j’étais encore enceinte, je n’avais pas encore accouché, et le club s’est rapproché de mon agent en disant qu’il était intéressé par ma venue si je reprenais le basket.
J’avoue qu’au début, j’ai balayé l’idée. Mais, très vite, avec mon agent, on a discuté de cette opportunité. J’arrivais quand même à la fin de ma carrière, et c’était la possibilité de revenir en France et de reprendre contact avec le public français. Malheureusement, quand on arrête l’équipe de France et qu’on évolue à l’étranger, c’est plus difficile pour établir des liens. En revenant, les fans peuvent me voir plus facilement, c’est un défi intéressant. Après la maternité, Bourges m’offrait des conditions difficiles à refuser avec un contrat garanti pendant trois ans. C’était un pari, on ne savait pas à quel moment j’allais pouvoir revenir, mais Bourges m’a laissé la possibilité de le faire tranquillement. Tout ça a fait basculer ma décision. Le retour en France, c’était maintenant ou jamais.
Le retour en France n’a pas été très rose tous les jours. Mais aujourd’hui, je suis quand même très, très heureuse d’être revenue, parce que jouer en France, c’est quelque chose. Je ne m’en rendais pas forcément compte avant, parce que j’étais très jeune. Aujourd’hui, je joue avec des filles que j’inspirais à l’époque, qui me regardaient jouer et se disaient qu’elles voulaient faire comme moi. C’est un cadeau de pouvoir jouer avec elles, je n’en aurais pas eu l’occasion si je n’étais pas revenue en France, donc je suis très reconnaissante envers Bourges.
 
Vous avez connu l’Italie, beaucoup, l’Espagne, la Turquie, la Russie, la Chine… Quels souvenirs gardez-vous de ces expériences ?
Chaque expérience a été très riche. Culturellement, je me suis « gavée » ! J’adore échanger, évoluer dans un environnement qui n’est pas le nôtre, jouer au caméléon et devoir s’adapter très vite. Je pense que ça fait partie de mon caractère, cette envie de tout remettre en jeu dans la vie de tous les jours, dans un pays qu’on ne connaît pas. J’adore relever des challenges et à chaque fois, ce n’était pas partir pour partir. On m’a proposé des projets sportifs ambitieux, comme celui de gagner l’Euroligue. Quand on vous appelle pour cela, il ne faut pas réfléchir, il faut foncer. En plus, j’ai eu la chance d’avoir beaucoup gagné. Aujourd’hui, je garde un très bon souvenir de ces expériences à l’étranger. Je n’ai vraiment aucun regret, même si pour la vie personnelle, ça crée beaucoup d’instabilité car on n’arrive pas à s’ancrer quelque part. Mais comme on dit chez moi, un jeune qui a parcouru 100 villages a la sagesse d’un vieillard de 100 ans. J’espère que cela se vérifiera dans le futur. En tout cas, je me suis enrichie, sportivement et personnellement. Et je pense que ces voyages m’aideront plus tard, dans ma transition vers une autre carrière.
 
Y a-t-il un pays où l’ambiance vous a particulièrement marquée ?
La Turquie. Quand on joue dans un club comme Fenerbahçe ou Galatasaray, on vit de très près la ferveur des fans. C’est presque du fanatisme, et on le prend en compte dans la vie de tous les jours, dans le choix des supermarchés où on va faire les courses par exemple. Cela a été une expérience très riche par rapport à ça. Et puis, je suis quelqu’un de solaire, donc la France, l’Espagne et l’Italie restent des pays qui restent très chaleureux, avec cette mentalité méditerranéenne. Des matches à Salamanque ou à Tarente, ça reste quand même très vivant.
 

« J’ai commencé le basket par souci d’avoir une vie sociale »

 
On est bien loin de la petite Isabelle, qui a débuté le basket au Bénin. Comment en êtes-vous venue au basket ?
J’ai découvert le basket grâce à des amis. J’étais une petite fille…très grande ! A l’âge de 9 ans, je faisais déjà 1,85m. J’avais du mal à me faire des copines, mais, à l’inverse, j’étais beaucoup avec des garçons, qui faisaient du sport. C’est comme ça que j’ai commencé l’athlétisme d’ailleurs. Et, un jour, l’un d’entre eux faisait du basket et m’a dit que ça pourrait être intéressant pour moi, avec ma grande taille. Par souci d’avoir une vie sociale et des amis, je me suis dit : « Pourquoi pas ? » Et j’ai tout de suite adoré !
 
Pourquoi ne pas avoir poursuivi dans l’athlétisme ?
En 2003, le choix s’est imposé à moi. Je pars aux championnats du monde des moins de 20 ans à Sherbrooke, au Canada, lors desquels je termine au-delà de la 10e place. A ce moment-là, l’université d’Alabama se rapproche de moi. J’ai commencé par l’athlé, mais très vite, le basket a pris le dessus. En 2003, je ne m’entraînais donc plus en athlétisme, je faisais uniquement les compétitions. J’ai expliqué ça, et ils étaient complètement ébahis par mes performances et par le fait que je sois une force brute, naturelle. Ils m’ont donc proposé une bourse d’étude pour continuer à lancer le poids.
Quelques mois plus tôt, j’avais envoyé une vidéo d’un entraînement avec les garçons, par l’intermédiaire d’un monsieur qui était venu au Bénin. J’avais aussi fait une interview qui disait que j’avais envie de faire du basket mon métier, que j’étais fascinée par ce sport et que je cherchais des clubs en Europe qui pouvaient être intéressés par mon profil. Je racontais un peu ma vie !  Ce monsieur était revenu très rapidement vers moi pour me dire que le coach qui était en place à ce moment-là n’était pas intéressé, mais qu’il continuerait à montrer la vidéo. J’étais partie pour accepter cette bourse d’étude aux Etats-Unis, quand Tarbes me rappelle pour me dire que l’entraîneur avait changé durant l’été. Ce n’était plus Damien Leyrolles mais Pascal Pisan qui prenait sa place. Il a vu la vidéo avec le responsable du centre de formation, et ils ont montré leur intérêt pour moi. Au début, ce n’était pas très engageant, parce qu’on me proposait un contrat d’un an, pour voir ensuite si je complétais ou pas le cursus de formation de trois ans. Sinon, je repartais au Bénin. A l’époque, ma mère m’a dit : « Tu ne parles pas l’anglais, les Etats-Unis, c’est loin, alors que la France, tu connais la langue, le basket est ta priorité, et ça permet de rester pas trop loin. » Elle préférait cette option. Et puis, quand j’ai commencé le basket, mon père était vraiment le seul qui croyait en moi. Tout le monde me disait : « Tu es déjà grande, tu vas encore grandir, et tu ne trouveras pas de mari. » C’est la préoccupation des jeunes là-bas. Mon père a été le seul à m’encourager, du coup, j’ai aussi eu envie de venir en France pour lui. J’ai donc finalement choisi le basket au détriment de l’athlétisme.
 
L’arrivée à Tarbes, ça relevait quand même d’un rêve…
C’est inespéré, mais quelque part, je me dis que c’était mon destin, je n’arrive pas à l’expliquer autrement. Plein de gens avaient fait la démarche avant moi, ça n’avait jamais abouti. Des milliers d’autres l’ont fait après moi, cela n’a pas abouti non plus. Ça devait être mon chemin.
 

« Gagner ma vie en faisant du basket, c’était un rêve »


Vous vous imaginiez déjà, à cette époque-là, un avenir européen brillant, des médailles avec la sélection, des Jeux Olympiques à disputer ?
Absolument pas. Il ne faut pas oublier que je suis arrivée en tant que Béninoise ici. Quand, au bout d’un an, le président de la LFP, Jean-Pierre Siutat à l’époque, me propose la nationalité française, j’ai sauté sur l’occasion. Cela me permettait d’être mieux sélectionnable sur le marché du travail, sans prendre la place d’une Américaine, car le club a vu très tôt que j’avais du talent et il pouvait être intéressé pour me faire signer un contrat. La contrepartie était que je sois sélectionnée avec les jeunes de l’équipe de France. Moi je voulais juste gagner ma vie en faisant du basket. C’était un rêve. Tout ce que j’ai réalisé, on me l’aurait annoncé en lisant l’avenir dans une boule de cristal, je ne l’aurais pas cru.
 
Malgré cette riche carrière, vous n’avez jamais oublié d’où vous veniez. Vous vous engagez au Bénin pour aider les jeunes. Avez-vous envie d’aider encore plus le sport béninois et son développement ?
J’ai reçu une éducation où le partage est de mise, même si pour une famille africaine, nous n’étions pas si nombreux puisque nous étions quatre enfants. Le partage, je pense que c’est le mot clé à la maison. A partir du moment où j’ai réussi mon « pari », je voulais aider d’autres frères et sœurs à pouvoir atteindre leurs rêves, à vivre de leur passion. J’ai essayé, en installant des camps d’été, en faisant des tournois à Noël, du 3 vs 3, de promouvoir le basket au Bénin. Là-bas, c’est un sport très peu pratiqué et peu médiatisé.
C’est tout un travail de promotion, pour faire prendre conscience aux gens que si ça m’est arrivé, ça peut arriver à quelqu’un d’autre. Mais, si les enfants étaient contents de ces moments, j’ai remarqué que ça n’avait pas un impact suffisant par rapport à ce que je souhaitais. J’ai donc pris un peu de recul l’an dernier, au moment de mon accouchement. Mon but aujourd’hui, c’est de repartir avec un projet plus pérenne, peut-être avec un club. Il faut voir, mais je sais que les camps ne suffisent plus. C’est un travail sur deux semaines, mais il n’y a pas de continuité avec les enfants, on ne les voit pas progresser. C’est jouer au pompier de service. Aujourd’hui, j’aimerais que l’on développe le basket à l’école pour les enfants, mobiliser les gens autour du basket avec un suivi. Et pourquoi pas créer une académie, ce serait mon rêve. Ce n’est jamais simple car cela dépend de décisions politiques, mais je constate que la présidence actuelle a conscience que le sport peut être un atout de développement économique, ils investissent de plus en plus. Peut-être qu’à la fin de ma carrière, la porte sera plus ouverte quand je reviendrai là-bas, périodiquement ou complètement. Je ne me ferme aucune porte, je reste ouverte à toutes les opportunités.
 

« Mes enfants sont des sportifs nés »

 
Vous avez aussi adopté votre fils, Espoir. C’était une évidence de se tourner vers le Bénin pour l’adoption ?
Non, pas du tout. Au départ, j’étais plutôt partie plutôt sur l’Orient, le Laos, la Chine, mais les procédures sont longues. L’obtention de l’agrément est compliquée, en étant expatriée et en changeant de pays tous les huit mois. Le Bénin m’a été proposé comme une alternative, car j’ai la double nationalité, par l’ambassadrice de France au Bénin. Elle m’avait dit que ce serait beaucoup plus simple pour moi de partir sur un projet comme ça. Le choix s’est donc fait par rapport à la réalisation du projet.
 
Vous avez dû apprendre à combiner le rôle de sportive professionnelle et celui de maman d’Espoir et Lyna. Comment fait-on ?
C’est vraiment très difficile, mais ma devise, c’est « quand on veut, on peut ». J’ai voulu devenir maman, cela fait partie de moi, je le souhaitais vraiment. Mais ça peut être très compliqué, à cause du regard des autres notamment. Aujourd’hui, dans le sport, ce n’est pas fréquent de voir des filles tomber enceinte. J’espère que mon exemple pourra en inspirer certaines, qu’elles puissent se dire que c’est possible de combiner les deux.
 
Est-ce que votre fils est déjà un passionné de sport et de basket ?
Mes enfants sont des sportifs nés. Avec une mère très active et un père coach sportif, on ne peut que faire du sport à la maison !
 
 
Le témoignage de… Pascal Pisan : « Une femme exceptionnelle »
Ses premiers pas chez les pros, Isabelle Yacoubou les a faits sous les ordres de l’entraîneur Pascal Pisan, à Tarbes. Contacté pour parler de cette rencontre, l’ex-entraîneur du TGB a tout de suite répondu : « Si c’est pour parler d’Isabelle, c’est avec plaisir. » Pascal Pisan se souvient bien de l’arrivée d’une jeune Béninoise dans le Sud de la France : « Elle est arrivée par l’intermédiaire de l’entraîneur des Espoirs, qui connaissait un intermédiaire du Bénin. Quand je l’ai vue, j’ai tout de suite pensé que c’était exceptionnel. Je sortais de l’INSEP, des joueuses exceptionnelles, j’en connaissais, mais là, c’était encore plus fort. Elle a fait une première année en Cadettes. La deuxième année, nous avons perdu une joueuse sur blessure en octobre-novembre, en Coupe d’Europe. J’ai décidé, au lieu de recruter une autre joueuse, d’incorporer Isabelle dans l’effectif professionnel, à 17 ans. Cette année-là, on va jusqu’en demi-finale du championnat de France, et on perd contre l’ogre Valenciennes. Je me souviens qu’une Australienne jouait dans le camp d’en face, et Isabelle avait réussi un contre extraordinaire. »
Les débuts d’Isabelle Yacoubou à son arrivée en France n’ont pas été très faciles. « Elle avait une gestuelle qui était très propre grâce à son entraîneur du Bénin. Ce qui lui manquait, c’était l’équilibre entre sa force naturelle et le cardio qu’elle devait avoir. Il ne lui manquait pas la technique, elle l’avait très bien travaillée au Bénin, mais elle manquait de coffre. Lors de sa première année en Cadettes, avant d’être intégrée à l’équipe première, elle s’entraînait avec nous et elle passait son temps à courir, courir, courir. Le début n’a pas été marrant pour elle, mais on avait fait le choix de la faire courir énormément, parce que c’est ce qui lui manquait », détaille Pascal Pisan.
Et lorsqu’on lui demande si c’était un pari de faire signer Isabelle Yacoubou à Tarbes, l’ex-coach de Tarbes balaie cette idée : « Cela n’a jamais été un pari. C’est une chance de l’avoir eue. J’ai eu la chance d’avoir Tony Parker, Céline Dumerc à ses 15 ans, et Isabelle Yacoubou au début de sa carrière. C’est une chance de les avoir jeunes. Isabelle avait soif de tout, d’apprendre, d’avancer. Il n’y a jamais eu de pari, j’ai toujours considéré que ça avait été une chance de l’avoir avec moi. Nous étions assez proches. Elle venait du Bénin, elle était toujours à côté de moi dans la voiture. C’est une femme très intelligente. Je lui disais « un jour tu seras peut-être ambassadrice du Bénin », tellement c’était une femme exceptionnelle. Quand je suis parti et que François Gomez m’a succédé, il a bonifié ses qualités. Elle a connu la Chine, la Russie, elle est très cosmopolite, je pense que c’est sa force, et ça le restera toute sa vie. »
 

Simon Bardet