Général Paul Sanzey : « La contribution des armées au sport français est colossale »

Crédit photo : CNSD

Installé au Camp Guynemer à Fontainebleau, le Centre National des Sports de la Défense (CNSD) est un acteur clé dans le paysage du monde sportif. Sport de haut niveau, sport pour tous, réinsertion des militaires blessés par le sport : comme l’explique le Général Paul Sanzey, commissaire interarmées aux sports militaires et commandant du CNSD, les thématiques ne manquent pas, notamment à l’approche des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024. Un engagement fort et impactant soutenu par le CROS Île-de-France, tête de réseau du mouvement sportif francilien qui a souhaité mettre en lumière les actions impulsées par le CNSD incarnant des valeurs partagées. Rencontre avec le Général Paul Sanzey.

Qu’est-ce que le Centre National des Sports de la Défense ?

C’est avant tout un centre de formation. Historiquement, c’est même le plus vieux centre de formation aux sports en France, puisqu’il a été créé en 1852 à Joinville-le-Pont. Au fil des années et de l’histoire, il a émigré pour certaines disciplines, à Antibes notamment pour l’escrime et les sports de combat, c’est comme cela que le bataillon d’Antibes s’est imposé comme le bataillon formateur des moniteurs militaires d’entrainement physique. Depuis les années 60, les sports militaires se sont fixés à Fontainebleau. C’est là que nous spécialisons 1000 moniteurs militaires de sport par an au profit des trois armées et de la gendarmerie nationale, c’est là que le Bataillon de Joinville est entré dans la légende du sport français en encadrant des générations d’appelés talentueux, de Platini à David Douillet ou Henri Leconte… En synthèse les 20.500 appelés du Bataillon de Joinville de cette époque ont donné à la France 312 titres mondiaux, civils et militaires et 45 médailles olympiques.

Après la suspension de la conscription, Jean-François Lamour, ministre des Sports, et Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense en 2003, ont maintenu au Camp Guynemer le berceau du sport militaire. On a ainsi réactivé le bataillon de Joinville, qui regroupe à présent les athlètes de haut niveau de la défense sous contrat d’engagement avec les armées dans une quarantaine de discipline, et avec des résultats qui se passent de commentaires. À Tokyo, les athlètes militaires ont cumulé pour les JO et les JP 37 % des médailles françaises et 50% des médailles d’or…avec une présence en effectif réduite à 14 % de la délégation française. La contribution des armées au sport français est donc plus que substantielle, elle est colossale… en podiums et en termes de coût-efficacité !

Et il n’y a pas que les JO, il y a aussi les championnats du monde, y compris pour certaines disciplines qui ne sont pas inscrites au programme olympique, comme le parachutisme. Côté compétition militaire, nous avons 26 équipes de France militaires qui sont commandées également depuis le CNSD et c’est près de 1000 militaires qui sont accueillis chaque année en stage sur le site du Camp Guynemer pour préparer ces rencontres internationales de sports collectifs ou individuels.

Enfin la reconstruction de nos blessés est le 3ème pilier des activités du CNSD, nous pourrons y revenir.

Le 16 février dernier, un événement était organisé à Fontainebleau, avec une exposition et deux conférences au programme. En quoi ce type d’événement est-il important pour le CNSD ?

Cet événement était double. Il s’agissait d’abord de présenter au public une exposition baptisée « Olympisme – Sport et Paix », composée de 22 panneaux détaillant l’olympisme, son sens, ses origines. On a inauguré cette exposition culturelle et organisé deux conférences explicatives. L’une sur les liens historiques entre le sport et les armées, des Jeux antiques aux JOP 2024 ; l’autre sur la mission de reconstruction des blessés par le sport, mission complémentaire qui remonte à la Première Guerre mondiale et prend de plus en plus d’importance.

Cet évènement était aussi une occasion de célébration annuelle de l’impulsion donnée par le Conseil international du sport militaire (CISM) dont la France est fondatrice et membre actif depuis 1948. Celui-ci se donne pour mission de rapprocher pacifiquement les armées du monde. C’est entre le 16 et le 18 février que se tient le « Day Run for Peace » : nous avons donc organisé un cross et associé les collégiens du pays de Fontainebleau, préalable aux conférences et à l’exposition. Il était important pour moi de faire preuve de pédagogie en direction de notre jeunesse, mais aussi de montrer de façon plus large, nationale et même au-delà, que le sport peut être un vecteur de rencontres, de dialogue et donc de meilleure compréhension entre les nations.

« Chez tout militaire, il y a un sportif qui veille…et qui ne demande qu’à s’entraîner »

Parmi les sujets évoqués lors de cette journée, on retrouve notamment la réinsertion par le sport des militaires blessés. Quel est le parcours mis en place pour ces militaires par le CNSD ?

On propose beaucoup de choses et nous cherchons à élargir notre offre avec de nombreux projets.

Pour cela le CNSD se met au service des blessés des armées ; nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur tout l’écosystème du sport militaire et sur le service de santé des armées (SSA) qui œuvrent au bénéfice de nos blessés. Nous répondons donc à des demandes des cellules dédiées des trois armées et de la gendarmerie. Au CNSD, nous avons le département des blessés. Dans un premier temps, il se rend dans les hôpitaux militaires pour dialoguer avec nos blessés dans les services de rééducation fonctionnelle et en psychiatrie. Le but est de leur faire connaître un sport ou plusieurs qui leur permettent de reprendre contact avec leur corps après la blessure, de s’accepter et de se rassurer sur le fait que le sport reste possible.

Chez tout militaire, il y a un sportif qui veille…et qui ne demande qu’à s’entraîner. Pour eux, c’est donc souvent un soulagement de voir qu’après la blessure, il y a encore la possibilité de pratiquer un sport. Les grands blessés, les amputés par exemple, ne pratiquement évidemment plus de la même façon. Mais cette reprise d’activité est psychologiquement extrêmement importante pour eux. Ensuite, on les aide à poursuivre cette redécouverte des disciplines à travers des stages qui sont placés aux différentes étapes de leur reconstruction personnelle. Je pense notamment aux Rencontres militaires blessures et sports (RMBS) organisées avec l’armée de Terre (la CABAT) dans le Cher depuis dix ans. Lors de ces rencontres collectives, on les amène à se confronter à des challenges amicaux. Ils se testent sur beaucoup de disciplines collectives, ça les encourage à dialoguer entre eux. On propose aussi le Challenge Ad Victoriam, des séquences plus courtes de 36 heures délocalisées à plusieurs endroits en France pour pratiquer des disciplines particulières, comme le char à voile, le parapente, la plongée, etc. Cela fait partie de la reconstruction, à la fois du corps et de l’esprit. Et plus tard, on les oriente vers le para sport, voire la compétition, avec l’aide de la FFH et des autres fédérations délégataires dans le domaine para sportif.

2024 est une année olympique et paralympique. Qu’est-ce qui est mis en place pour permettre aux 224 sportifs de haut niveau de la Défense d’atteindre leurs objectifs ?

Pour 2024 il faut souligner que nous avons effectivement réalisé un effort très substantiel à partir de 2019 en faisant évoluer notre recrutement du Bataillon de Joinville de 150 athlètes à 224 aujourd’hui.

Ces sportifs de haut niveau de la défense, tout en poursuivant l’entraînement dans leur discipline avec leur fédération, sont accompagnés au CNSD grâce à des infrastructures modernes, aguerris par des stages commandos et soutenus par nos spécialistes en cas de blessure. Nous leur donnons l’occasion de renforcer leur mental en nous appuyant sur nos techniques d’entrainement opérationnel. La force du groupe « armées de champions », la fierté de défiler sur les Champs Elysées le 14 juillet dernier sont pour le talent autant de boosters d’envie et de performance…

Au-delà des SHND nous accueillons également des collectifs Equipes de France (civils) pour apporter l’appui de nos infrastructures de qualité ; nous accueillons en permanence l’équipe de France d’escalade, mais d’autres comme les équipes de plongeon et d’haltérophilie en ont récemment profité. Enfin les grandes écoles militaires dont Polytechnique s’investissent dans le programme Sciences 2024 qui vise à soutenir la performance par la recherche scientifique et l’innovation, en relation avec l’Agence pour l’innovation de la Défense (AID).

Les résultats aux JOP 2024 sont-ils particulièrement importants pour vous ?

Oui en effet, c’est important de réussir cette année olympique, car elle peut apporter aux armées une forme de reconnaissance de la performance qu’elles portent, en terme d’efficacité non seulement sportive, mais aussi logistique et organisationnelle.

Ceci dit ce n’est pas l’essentiel, car les armées ont une autre vocation première : la défense de la France, de ses habitants, de ses intérêts. Si les armées s’occupent de sport et de sport à haut niveau, c’est parce qu’elles en ont naturellement la compétence et historiquement la légitimité. A plusieurs moments de l’histoire du sport français, elles ont apporté une contribution majeure à la performance de haut niveau, et notamment en 1960, après les Jeux de Rome où un sursaut était nécessaire.

La Fédération nationale des Joinvillais n’hésite pas à rappeler cette réalité historique trop méconnue et son président Jean-Michel Oprendek, au-delà d’une expérience exceptionnellement riche au service du sport français, témoigne fréquemment de cette fidélité à notre passé commun. En tout cas il y a une légitimité historique, sans doute plus évidente en escrime, en équitation, en pentathlon ou en ski, mais qui est partagée en réalité dans beaucoup d’autres disciplines : voile, boxe, lutte, tir… l’organisation militaire, connue pour sa rigueur, a dans le passé rendu de fiers services au sport français.

Pour les armées, le sport est aussi une façon d’entretenir un lien vivant avec notre jeunesse. De façon très concrète, il y a beaucoup d’étudiants en STAPS qui viennent frapper à la porte des armées pour venir pratiquer le sport, y compris le sport à haut niveau. Dans nos rangs, ils découvrent des métiers et une vie à laquelle ils ne s’attendaient pas. C’est un monde extrêmement riche dans lequel il y a des centaines de métiers différents dans lesquels s’épanouir. Le sport est une façon de rester en prise avec la réalité de la jeunesse d’aujourd’hui, sans laquelle il n’y a pas d’armée.

« Nous entretenons d’étroites relations avec toutes les fédérations en France, ou presque »

Quels sont les liens et relations entre le CNSD et ces acteurs, qu’ils soient politiques ou sportifs, comme les fédérations, le CROS Île-de-France et les collectivités ?

Nous entretenons d’étroites relations avec toutes les fédérations en France, ou presque. Le sport militaire est représenté dans 42 disciplines. Nous avons des conventions de partenariat en vigueur avec 34 fédérations. Pour le haut niveau, le dispositif du Bataillon de Joinville fonctionne très bien grâce aux interactions que nous faisons vivre avec les fédérations et l’ANS. Ce sont elles qui sélectionnent les profils et nous les proposent, avec un taux assez sélectif, puisque j’ai en moyenne cinq candidatures pour une place disponible… Ensuite, on dialogue, on discute, et nous recrutons deux ou trois fois par an les athlètes qui s’engagent au Bataillon de Joinville. L’effectif actuel de 224 athlètes, cela représente 14 millions d’euros de masse salariale par an…. Si les armées font cet effort, c’est évidemment pour un retour. Nous ne sommes pas une fédération, ni une association. Nous sommes des militaires spécialistes de l’entraînement physique et nous portons pour notre ministère régalien la contribution décidée par les ministres successifs, pour faire gagner la France, que ce soit lors des JOP ou dans les autres compétitions mondiales.

Beaucoup d’acteurs du monde du sport se penchent sur l’Héritage de Paris 2024. Au CNSD, comment cet héritage se prépare-t-il ?

On prépare les JOP, mais bien sûr cela ne résume pas la raison d’être du sport militaire… Le fond de notre effort restera l’entraînement physique, militaire et sportif pour tous les militaires. C’est la première brique sur laquelle on construit la formation d’un combattant. Il ne doit pas seulement être physiquement solide ou avoir l’esprit d’équipe (valeurs classiques du sport), il doit aussi avoir un mental de gagnant, pouvoir nourrir une confiance collective qui fera la force de son unité. La solidité individuelle et collective procurée par l’entrainement permet de développer l’audace, l’audace du soldat professionnel dans l’action et l’audace des chefs dans la prise de décision, malgré fatigue, stress ou blessure. Si les armées françaises ont acquis une réputation d’excellence sur tous les théâtres d’opérations où elles sont engagées, c’est parce que leur entrainement est mené sans concession. Et à la base de cet entraînement, il y a ce socle physique et mental qui fait la différence et qui est de notre responsabilité.

La guerre, un peu comme le sport, c’est l’affrontement des volontés. Pour pouvoir faire plier la volonté adverse, il faut être sûr de soi, sûr de ses équipiers, sûr de l’outil de combat que l’on a forgé et donc s’appuyer sur un entraînement à la hauteur de l’enjeu.

Donc oui, pour nous, les JOP sont importants, mais c’est aussi le cas des autres compétitions que nous préparons, comme les championnats du monde qui suivront. Et au-delà, notre mission première restera l’entraînement des unités des forces armées et des 350 000 militaires qui, pour être efficaces, doivent assumer les trois dimensions : la compétence tactique, la capacité à utiliser des systèmes d’armes technologiquement très avancés, et l’aptitude physique et psychique au combat.

« Il y a une omerta sur la présence des militaires dans le sport français »

Un objectif de médailles est-il fixé pour les JOP de Paris ?

Le Président de la République, qui est aussi le chef des Armées, a donné ses directives. Pour ma part, j’ai fixé aux SHND un objectif clair : « faire au moins aussi bien qu’à Tokyo.. ». Les chiffres de Tokyo sont éloquents, ils sont le fruit d’un travail en profondeur. Vous le savez, il est impossible d’improviser à ce niveau de la performance, on est dans l’anticipation à plusieurs années, c’est beaucoup de travail et de transpiration… sans certitude sur le résultat, mais j’ai toute confiance dans mes équipes ; j’ai affaire à des passionnés, ils iront au bout d’eux-mêmes pour remplir cette mission.

Les Jeux peuvent-ils être un déclencheur important en matière de communication pour permettre à davantage de jeunes de se diriger vers l’armée ?

Si la contribution des armées, notamment grâce à des médias comme le vôtre, sort enfin de l’anonymat, ce sera évidemment positif pour l’attractivité des armées. Soyons clair, il y a aujourd’hui une sorte d’omerta désolante sur la présence des militaires dans le sport français, au point que beaucoup ignorent que le Bataillon de Joinville existe encore : les engagés ont remplacés il y a 20 ans nos appelés de jadis, mais le talent est toujours là, au service de notre pays et de sa haute performance. Quant aux équipes de France militaires, elles s’illustrent très régulièrement comme le XV de France militaire qui a remporté en Bretagne le dernier championnat du monde militaire en septembre 2023, devant les plus grandes nations de l’ovalie !

De leur côté les armées s’investissent pour mieux communiquer, et faire connaître la valeur des hommes et des femmes qui sont engagés résolument sur ce bel objectif : faire résonner la Marseillaise sur les podiums les plus importants… je compte vraiment sur le monde du sport pour relayer ces informations qui passionnent nos concitoyens. Nous avons de bonnes relations avec tous les acteurs du sport français mais j’appelle de mes vœux une communication plus ouverte, en particulier à la faveur de ces Jeux que nous préparons tous ensemble.

Les armées contribueront à la sécurité des JOP, le CNSD et les athlètes se préparent naturellement pour contribuer aux succès communs : « tous engagés pour la victoire ! ». J’en profite pour passer mon salut amical à tous nos athlètes, valides et handisport, qui se battent actuellement pour conquérir leur place aux JOP dans la délégation française. Ils renvoient à notre pays tout entier un beau témoignage de passion, d’ambition et de constance dans l’effort. Qu’ils en soient remerciés !