Freefly – Karine Joly : « Chacun notre magie » (1/2)

Karine Joly et Greg Crozier survolent en couple le freefly mondial depuis plus de 10 ans. Les champions du monde 2018, stars de la discipline, ont longuement répondu à nos questions. Voici la première partie de l’entretien.

 

Qu’est-ce que le parachutisme sportif et plus particulièrement votre discipline de prédilection, le freefly ?

Greg Crozier : Le parachutisme se décline en deux parties : l’activité militaire et l’activité civil. Il existe une fédération française de parachutisme liée au ministère des Sports. A l’intérieur de l’appellation parachutisme sportif, il existe beaucoup de disciplines. Les disciplines en chute, des groupes de quatre ou huit personnes qui font des figures le plus vite possible et les artistiques le freefly et le freestyle font partie. En freestyle, on voit une seule personne à l’écran, et deux pour le freefly. On distingue aussi les disciplines sous voile avec ceux qui font de la précision d’atterrissage, ceux qui ouvrent tout de suite leur voile pour faire des constructions à deux ou à quatre ou encore ceux qui déploient des petites voiles. Sans oublier le wingsuit qui fait désormais partie intégrante du parachutisme sportif.

Quels sont vos parcours dans ce monde du parachutisme sportif ?

Karine Joly : J’ai commencé en 2004 à apprendre à voler seule. J’ai tout de suite débuté par le freefly car, selon moi, c’est la discipline de référence en ce qui concerne la liberté du corps. Elle permet de dompter toutes les postures dans la 3D sans avoir besoin de combinaison spéciale comme les ailées. On profite tout le temps de la chute libre en essayant de réaliser un programme artistique semblable au patinage. Avec Greg, on a décidé de former une équipe de freefly fin 2008 pour entrer en compétition en 2009. On n’a jamais arrêté depuis.

G.C. :  Mon père était pilote de petit avion et de montgolfière. J’ai pu approcher rapidement le parachutisme même si c’était des portes qu’il ne voulait pas que j’ouvre. Il avait peur que je saute en parachute. J’y suis allé plus lentement en commençant à 16 ans. J’ai dû attendre l’arrivée de Karine pour que les choses deviennent sérieuses. On a été à fond depuis qu’on a créé l’équipe en 2008.

Que ressent-on exactement au moment de la chute libre ?

K.J. : Les sensations sont propres à chacun. On ne sent pas tomber comme on peut l’imaginer dans un manège d’une fête foraine. On est toujours pris en charge pas un coussin d’air. Au moment de sortir, l’avion est en déplacement horizontal, on sent pleins d’appuis sur le corps. Je compare souvent avec les sensations d’une main sortie de la vitre d’une voiture sur l’autoroute.

G.C. : Pour ma part, je suis marqué par la puissance. A moins de traverser un nuage, on a du mal à avoir une référence sur la vitesse. Faire du gainage, utiliser son corps entier pour accélérer, freiner, monter, se déplacer, c’est ce que j’adore. On est dans un fluide, un peu comme dans l’eau. On peut prendre la posture que l’on souhaite.

Quel rapport entretenez-vous avec le danger que représente le sol qui se rapproche extrêmement vite ?

G.C. : Dans notre pratique très cadrée, tout a été fait pour être bien en dessous des limites de mise en danger. Tout va bien. On est censé ouvrir le parachute à 1500 mètres d’altitude et c’est seulement lorsque l’on devient un expert qu’on peut l’ouvrir à 1000 mètres. On a l’altimètre à la main et le bip-bip dans les oreilles. On ne peut pas se rater.

K.J. : A notre niveau, lorsqu’on fait des répétitions de sauts, on a une horloge interne qui donne un timing pour jeter un œil sur l’altimètre. Ce timing est ancré dans la tête.

De quelle altitude vous élancez-vous ?

G.C. : Quasiment tout le temps, nous nous élançons de 4000 mètres. C’est le meilleur compromis, on a 45 secondes de chute avec les copains, à s’amuser avant de devoir s’éloigner pour ouvrir le parachute.

De quoi est constitué votre sac à dos que vous endosser à chaque saut ?

K.J. :  On a un sac à dos avec des voiles performantes et petites. Elles prennent peu de place. Sur la partie supérieure, il y a le parachute de réserve qu’on déploie qu’en cas de problème et c’est très rare. Il est replié et inspecté chaque année par une personne agréée. En bas, il y a le parachute principal. On ouvre grâce à une petite poignée. On a aussi un appareil de sécurité qui va calculer la vitesse, l’altitude et déclenchera la voile de secours en cas de problème. Ces sacs à dos pèsent entre 7 et 8 kg.

G.C. : Pour montrer que la pratique est très sécurisée, nous sommes aussi dans l’obligation de faire retentir un bip à trois altitudes choisies afin d’avoir des rappels réguliers lors du saut. On peut faire le parallèle avec la plongée. Le matériel n’est plus remis en question. Tout un dispositif théorique et pratique est mis en place pour que tout se passe bien tout le temps.

K.J. : C’est vrai qu’on a la chance de pouvoir pratiquer ce sport de manière très sécurisée. On ne peut pas dire la même chose d’il y a 25 ans.

En quoi le freefly est plus intéressant par le fait que vous la pratiquiez à deux ?

G.C. : J’adore le fait de pouvoir évoluer en trois dimensions en passant en dessous, au-dessus ou tourner autour d’une personne. Par rapport aux autres disciplines, c’est celle qui permet le plus de combinaisons. Le côté artistique nous permet de porter des combinaisons originales pour un joli rendu visuel.

K.J. : Le fait de pratiquer en couple met en avant le côté masculin qui sera plus dans la puissance, la technique et l’énergie du saut ajouté au côté féminin avec plus de douceur, de poésie. Dans notre discipline, c’est un bon mélange. Il est assez rare de voir des femmes dans ce sport même s’il y en a de plus en plus. Notre compétition est mixte d’ailleurs. Particulièrement au sein de notre duo, on a su apporter chacun notre magie.

G.C. : Notre plus-value ultime est d’être en couple dans la vie pour mettre en avant ce sport. Il n’est pas facile à défendre parce qu’il est trop souvent amalgamé avec une prise de risque et une mise en danger. C’est notre boulot de remettre le freefly dans le cadre du sport. On veut être ambassadeurs du freefly comme étant un véritable sport.

Propos recueillis par Loïc Feltrin

Retrouvez la seconde partie de l’entretien de Karine Joly et Greg Crozier ce mercredi sur sportmag-old.say-demo.com