Freefly – Greg Crozier : « La meilleure communauté du monde » (2/2)

Karine Joly et Greg Crozier survolent en couple le freefly mondial depuis plus de 10 ans. Les champions du monde 2018, stars de la discipline, ont longuement répondu à nos questions. Voici la seconde partie de l’entretien.

Comment préparez-vous toutes ces chorégraphies que vous effectuez pendant vos sauts en chute libre ?

G.C. : Beaucoup de paramètres ont évolué ces dernières années comme les styles, le jugement. Des choses sont remises en question tous les deux ans par la fédération aéronautique internationale. Tout le monde s’entraîne en soufflerie sportive. On a pu gagner beaucoup de temps. Avant, nous faisions seulement nos 10 sauts par jour, ce qui représentait 10 minutes d’entraînement. Aujourd’hui, on peut s’entraîner une heure par jour en soufflerie. La première est sortie de terre en 1998 à Orlando aux Etats-Unis, à côté des parcs d’attractions. Il a fallu attendre 10 ans pour que ça se démocratise et 10 autres années pour que ce soit devenu un outil indispensable.

K.J. : On est obligés d’aller s’entraîner dans ces simulateurs car le gain de temps est considérable. On arrive à faire des années de pratique en quelques semaines. On ne dépend pas de la météo, on peut enchaîner les sauts à l’infini. En revanche, comme il s’agit d’un espace vitré, c’est très différent du ciel. On s’en sert pour booster notre niveau personnel mais on ne peut pas préparer réellement les figures qu’on présente en compétition.

Quelle est la place de la dimension artistique dans votre performance finale ?

K.J. : Pour préparer les chorégraphies, il y a de la projection mentale. On utilise aussi des petits bonhommes en bois pour voir dans quel sens il faut tourner.

G.C. : Le scénario du saut va être théorique. On va l’écrire et essayer d’éliminer des figures qui ne seraient pas réalisables. On est soumis aux lois de la physique. Certains mouvements nécessiteront beaucoup de répétitions. Ensuite, on met en place le saut en le découpant en trois actes qu’on va répéter chacun trois fois. Quand le squelette du saut fonctionne, on va le vernir en soufflerie pour être super fort sur chaque technique.

Combien de temps de préparation avez-vous besoin pour maîtriser un saut ?

K.J. : C’est un peu comme un tableau. On peut toujours apporter des touches de couleurs. C’est infini. On doit trouver le bon compromis et s’y tenir. Il est plus intéressant de répéter pour être sûr de pouvoir sortir le saut correctement sous pression au lieu de toujours vouloir peaufiner et ajouter des mouvements.

G.C. : En gros, il faut deux ans pour sortir un nouveau saut. On ne peut pas présenter toujours la même chose. On a trois sauts à présenter dont deux de figures imposées. Ce sont des gammes à maîtriser. Le saut en libre qu’on va créer, peut être travailler qu’un tiers du temps. Donc deux ans, c’est tout à fait ce qu’il faut.

K.J. : Il y a aussi des années où on va sauter plus. L’année des mondiaux, il y a eu 400 sauts. Et d’autres plus creuses avec 250 sauts.

Lorsque vous créez une chorégraphie, le but est-il de raconter une histoire ?

K.J. : Ca demande d’arriver à un certain niveau où on peut se permettre de se concentrer sur l’histoire. On a saisi l’opportunité d’avoir des mondiaux organisés en Australie en 2018 dans un décor magnifique sur la Gold Coast. On a pu jouer avec ce pays qui fait rêver. Nous sommes partis sur ses emblèmes que sont les aborigènes, le rocher d’Uluru… On a essayé de faire des combinaisons en s’inspirant des rituels aborigènes et du côté Down Under de l’Australie en jouant sur cette notion de tête à l’envers. A la fin du saut, Greg me tient les jambes et créé un portail dans lequel passe notre videoman. Dans l’histoire aborigène, ça s’appelle le temps des rêves avec cette notion de Dream Gate, de traversé vers le monde des esprits.

Le videoman fait partie intégrante de votre équipe. A tel point que vous formez un trio plutôt qu’un duo…

G.C. : C’est exactement comme un batteur d’un groupe de musique. Le videoman n’est pas visible mais s’il ne cadre pas correctement, tout est raté. Idéalement, ce doit être le meilleur des trois pour être sûr qu’il ne se manque pas.

K.J. : On ne peut pas appeler n’importe qui pour faire la vidéo. Il travaille la chorégraphie avec nous toute l’année. Il va réussir à sublimer nos mouvements. On forme vraiment un trio.

Vous parcourez le monde entier pour réaliser vos sauts. Cet aspect fait aussi partie de l’aventure…

G.C. : On a beaucoup de chance et c’est très nouveau puisque les métiers autour de ce sport n’existent que depuis une dizaine d’années. Nous sommes invités partout dans le monde. Le parachutisme regroupe une forte communauté en Australie et au Brésil. Chaque communauté invite les meilleurs mondiaux une fois par an. On fait aussi des premières comme par exemple en sautant au-dessus des pyramides en Egypte. On vient d’ouvrir un nouveau spot aux Maldives. On a beaucoup de chance d’avoir la meilleure communauté du monde.

K.J. : Ces événements rassemblent des parachutistes sportifs qui pratique en loisirs. Au-delà de notre prestation, on encadre les gens dans les sauts par petits groupes pour réaliser des chorégraphies simples. On rencontre des gens de partout dans le monde.

Propos recueillis par Loïc Feltrin

Retrouvez ici la première partie de l’entretien avec Karine Joly et Greg Crozier