Football : La finale perdue analysée par un préparateur mental 

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Battue par l’Argentine aux tirs aux buts le 18 décembre dernier lors de la finale de la Coupe du Monde (3-3, tab 4-2), l’équipe de France se remet de ses émotions. Sylvain Baert, docteur en psychologie et préparateur mental, détaille les différentes phases mentales de cet échec. 

Comment se prépare-t-on mentalement à la veille d’une finale de Coupe du Monde de football ? 

Sylvain Baert : Individuellement, il y a un gros travail psychologique à faire. Certains doivent gérer un peu plus leurs émotions, au sujet du stress ou des blessures. Ce n’est pas qu’individuel, mais aussi collectif. Il faut le faire sur les deux plans. Il faut jouer sur la cohésion de groupe, c’est ça qui fait la différence : le savoir être du collectif. Didier Deschamps est reconnu et très fort pour ça.

Les routines de performance rentrent complètement dans ce cadre, que ce soit individuel ou collectif. L’idéal est d’avoir sa propre routine bien huilée pour l’avant et l’après compétition. C’est vraiment du cas par cas. En général, ils ont tous une routine développée. Le préparateur mental va s’appuyer sur l’une d’entre elles. Par exemple, un joueur a l’habitude de faire son lacet droit avant le lacet gauche parce que ça lui a porté chance. Et ensuite pourquoi pas apporter une technique de respiration associée à ce geste-là.

Les Bleus réalisent une première période médiocre (2-0 pour l’Argentine). À la mi-temps, les joueurs expriment leur ressenti. Est-ce que cette communication est primordiale pour leur permettre de regagner en confiance et en envie ?

SB : On a pu voir dans le documentaire de TF1 “Merci les Bleus” des cadres, comme Kylian Mbappé ou Steve Mandanda, qui ont pris la parole grâce à leur expérience. Les poids des mots et les discours peuvent être très impactants pour certains. Peut-être moins pour d’autres. Si le joueur s’est suffisamment préparé individuellement, s’il est capable de retrouver des ressources mentales, l’association des deux peut permettre un rebondissement majeur. Il n’y a donc pas que l’aspect discours, coaching, mots, qui vont être importants. C’est très subjectif. En adéquation, il faut vraiment un aspect individuel où chacun va être capable de se prendre en charge au moment de rentrer sur le terrain. En l’occurrence, on a vu un petit regain sur la deuxième mi-temps. Assez léger quand même. Il y a eu un petit impact, mais pas suffisant.

« On a tous des cicatrices. À voir comment eux géreront la leur »

Cette remontée, portée par Kylian Mbappé, entre autres, s’est jouée au mental ? 

SB : À partir du moment où le premier penalty a été transformé, l’engouement physique et mental a suivi. Le but a eu un double impact : positif sur les joueurs français, mais aussi énorme sur les Argentins. Ils ont baissé les bras, ils avaient plus d’émotions et de stress. Ils ont été beaucoup plus fébriles d’un seul coup, à 2-1. Cela a rééquilibré le match. Pour moi, Randal Kolo Muani a été au-dessus du lot parce qu’il a réussi a provoqué ce penalty, qui a impacté toute l’équipe après. On sentait cette hargne, cette motivation, cette envie, cette activation sur le terrain alors que d’autres joueurs ne l’avaient pas.

Aurélien Tchouaméni et Kingsley Coman ratent leurs tirs au but. Comment rebondir mentalement après un échec personnel aussi décisif ? 

SB : Je n’ai pas vu de démarche ou une concentration extrême chez Kingsley Coman. Peut-être qu’il pourrait y avoir des routines à travailler sur les penaltys. Kylian Mbappé était très concentré avant son penalty et ça, je ne l’ai pas retrouvé chez les autres tireurs qui l’ont raté. Kingsley Coman avait les épaules un peu baissées. Il manquait d’entrain alors que Kylian Mbappé était plus concentré dans le regard, il prenait plus de temps pour tirer.

Sur le plan émotionnel, cette défaite reste amère pour tout le monde. L’aspect temporaire est très important. Considérer l’échec comme quelque chose de négatif, c’est normal. Les deux tireurs peuvent ressentir de la culpabilité, un gros mal-être à gérer. On a beau le consoler, lui dire tout, il y aura toujours une phase aiguë. Il faut les laisser faire leur deuil, quelques heures ou quelques jours en fonction du joueur. En général, dans cette situation, le joueur préfère se retrouver un peu seul, ne souhaitant pas échanger sur cet échec. Il doit être accompagné, mais il n’y a pas d’interventions à faire. Il faut laisser passer l’orage émotionnel.

Au bout d’un certain temps, il faut reconsidérer l’échec. Il sera intéressant de l’accompagner avec des outils. De cette défaite, qu’en fait-il ? On polarise que sur les aspects négatifs, mais est-ce qu’il n’a pas appris de tout ça ? S’il analyse tout ça, l’avant, pendant et l’après, il pourra s’en servir pour les prochaines échéances à venir. Malgré tout, il restera quand même un goût d’inachevé. D’autant plus que la physionomie de la rencontre fait d’elle un match d’anthologie. On a tous des cicatrices. À voir comment eux gèreront la leur.