Du javelot aux falaises : l’itinéraire fou de Jérémy Nicollin

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Ancien athlète en lancer de javelot et quintuple champion de France, Jérémy Nicollin s’est reconverti depuis 3 ans dans le monde spectaculaire du cliff jumping. En septembre, il tentera de battre le record du monde de la discipline, avec un saut de falaise à 60 mètres de haut, soit un impact de 123,5 km/h au niveau de l’eau. Un défi inédit, que le Jurassien de 33 ans décrypte auprès de SPORTMAG, en revenant également sur son parcours, sur les spécificités du cliff jumping et sur son rôle d’influenceur, à travers son compte Instagram de plus de 600 000 abonnés.

Avant le cliff jumping, vous avez été un champion de lancer de javelot. Pourquoi avoir stoppé cette activité ?

J’ai effectivement fait dix ans d’athlétisme à haut niveau, en lancer de javelot. J’ai cinq titres de champion de France à mon actif ainsi que quelques sélections en équipe de France. Les huit dernières années de ma carrière je m’entraînais à Strasbourg, où j’ai passé un master marketing en parallèle de mes entraînements. En fin de carrière, j’ai été rattrapé par pas mal de blessures que je m’étais faites au coude, à l’épaule, et surtout au genou. À ce moment, j’ai eu l’opportunité professionnelle d’être chef de produit pour Demetz, une marque d’optique sportive qui grossit bien. Mon objectif était de faire les Jeux Olympiques (Tokyo 2020), et j’avais besoin de battre mon record pour faire les “minima”. Ça s’annonçait compliqué, donc j’ai estimé qu’il fallait être réaliste. J’avais une belle opportunité professionnelle, c’était le moment de passer à la suite, ce que j’ai expliqué à mon coach et à mon staff médical. En plus, 3 à 5 ans d’expérience sont d’habitude requis pour un poste de chef de produit et là, on m’offrait directement le job. Je l’ai donc accepté, et c’est pendant mon temps libre que j’ai repris le cliff jumping que j’ai toujours pratiqué. J’ai commencé à partager des vidéos sur les réseaux sociaux, qui ont rapidement fonctionné.

Vous pratiquiez donc déjà le cliff jumping. À quelle fréquence ?

J’aime les sports à sensations fortes depuis tout petit. J’ai fait beaucoup de ski, beaucoup de sports de montagne, et donc du cliff jumping. Il y avait un canyon à 10 minutes à pied de chez moi, donc j’ai démarré à 7 ans environ. Et même avant ça, j’aimais beaucoup sauter des plongeoirs à la piscine ! J’ai tout de suite pris goût au cliff jumping, et pendant ma carrière d’athlète, quand la fin de saison arrivait et que j’avais des vacances, j’allais souvent sauter depuis des falaises. Je me challengeais déjà un peu au niveau des hauteurs notamment. Quand j’ai arrêté le javelot, je n’avais en conséquence plus de sacrifices à faire pour ma carrière d’athlète, ce qui signifiait que je pouvais à nouveau pratiquer tous les sports que je voulais.

“Si je ne tentais pas l’aventure à ce moment-là, je ne la tenterais jamais”

Êtes-vous toujours chef de produit aujourd’hui, combinez-vous ce poste avec le cliff jumping ?

Non ! De 2021 à 2024, j’étais chef de produit à Lyon. Et tous les week-ends, je partais à droite à gauche en montagne, dans le sud, pour skier et faire du cliff jumping, ou encore des randonnées, de l’escalade… J’ai posté des vidéos qui ont très bien marché, et qui m’ont permis d’atteindre les 600 000 abonnés fin 2024, alors que je n’en comptais que 3 000 quand j’ai arrêté l’athlétisme. Courant 2023, j’ai commencé à avoir des sponsors qui me rémunéraient pour le cliff jumping, et à la fin de cette année-là, je gagnais en conséquence plus d’argent avec le cliff jumping qu’en tant que chef de produit. J’adorais mon job, on réalisait de belles performances et la marque grandissait, mais je me suis dit que si je ne tentais pas l’aventure à ce moment-là, je ne la tenterais jamais. Donc je suis allé voir mon patron, qui a tout de suite compris. Alors que j’étais encore en poste, Demetz avait déjà commencé à me sponsoriser, et a continué de m’accompagner après mon départ. Je ne travaille plus pour eux, mais finalement je suis toujours dans l’entreprise en tant qu’athlète sponsorisé !

Comment vous entrainez-vous, et à quoi ressemble votre quotidien ?

J’ai un profil particulier puisque je viens de l’athlétisme. Pendant 10 ans, je m’entraînais deux fois par jour avec notamment beaucoup de musculation, pour répondre aux exigences du javelot. Et dans la mesure où j’ai toujours pratiqué le cliff jumping pendant mon temps libre, mon corps est habitué aux gestes spécifiques. Donc, aujourd’hui, j’ai une musculature grâce au javelot, que j’entretiens en faisant par exemple du ski l’hiver et de l’escalade l’été, ce qui me permet de travailler tous mes muscles. Et pour le cliff jumping en lui-même, je saute de plus en plus haut pour arriver de plus en plus vite dans l’eau, en me testant petit à petit pour être sûr que mon corps est capable d’encaisser l’impact.

S’il y a des jours où je me sens un peu fatigué, j’y vais en douceur et je ne vais pas aussi haut que prévu. Mon quotidien, c’est de voyager pour essayer de trouver des nouveaux spots qui me donnent envie de sauter. En fait, ce qui me plaît dans ce sport, au-delà des sensations fortes et du challenge, c’est d’être avec mes amis et de voyager à la recherche de nouveaux spots. J’aime particulièrement les cascades, et j’adore découvrir de nouveaux endroits qui n’ont jamais été sautés, ou que je peux sauter d’une manière différente des autres, parce que je n’aime pas utiliser 50 000 fois le même spot. Je préfère naviguer de spot en spot donc je voyage pas mal, je fais des road trips et je me rends aussi sur d’autres continents. À côté de ça, je fais plein d’autres activités, comme du parapente, du speed riding, et je suis en train de passer mon brevet de saut en parachute. Je fais aussi du vélo et de l’escalade, mon objectif est d’être libre et d’avoir des connaissances dans plein de sports. Comme ça, tous les jours, je regarde la météo et je choisis le sport le plus adapté à celle-ci. En résumé, mon quotidien c’est de faire du sport !

Vous avez évoqué le fait de partir accompagné. Des amis vous accompagnent sur les spots ?

Oui exactement ! C’est un sport individuel, mais avec beaucoup de partage, en premier lieu au niveau de la sécurité. On ne met pas forcément une sécurité dans l’eau à chaque fois, mais lorsqu’on sait qu’il y a un risque d’arriver pas parfaitement droit et de se faire assommer, on le fait. Pour vous rassurer, il y n’a bien sûr que rarement des knock-out quand on s’entraîne bien et qu’on prépare correctement ses sauts, mais on ne sait jamais. Le but n’est pas de mourir noyé tout seul. On se conseille beaucoup aussi, quand l’un de nous veut faire une figure ou travailler quelque chose de précis, il peut demander aux autres. On débat, et on se tempère quand l’un de nous est un peu trop “chaud”. Par exemple, ça m’est déjà arrivé que l’on me dise d’y aller un peu moins fort, ou de refaire un saut d’essai avant de tenter une figure. On rigole beaucoup, on se vanne et on partage tous les plaisirs, tous les accomplissements qu’on réalise. Quand l’un de nous réussit une nouvelle figure ou bat son record, on sait qu’il a pris un risque et on est tous contents pour lui. Il y a beaucoup d’émulation, on se tire vers le haut, ce qui nous permet de prendre confiance en nous et de passer de beaux moments.

“Je sauterai à 60 mètres uniquement si je me sens prêt”

Vous vous préparez à effectuer un saut de 60 mètres, qui constituerait un record mondial.  Qu’est-ce qui vous motive à tenter une telle performance ?

Tout d’abord, il me paraît important de préciser que ce n’est pas encore sûr. Il n’y a aucune garantie que j’y arrive, mais c’est mon objectif, ça fait plusieurs années que je pense à ce record. J’ai toujours été très compétiteur, très attiré par les challenges et par le fait d’explorer mes limites dans différents environnements. Donc, en cliff jumping, aller de plus en plus haut me stimule, et ça serait incroyable de battre un record du monde et de le ramener à la maison. Mais pas à n’importe quel prix : l’idée n’est pas de sauter demain à 60 mètres, en me disant que j’ai une chance sur deux de résister à l’impact. Je vais me donner un maximum de chances de réussir ce saut et d’en sortir indemne. On parle d’un impact à 123,5 km/h, donc ça ne rigole pas, je peux finir comme un pantin sous l’eau, me blesser très gravement, finir paraplégique ou tétraplégique. D’ailleurs, même à 10 mètres, un amateur peut se fracturer un vertèbre… Donc il faut être bien préparé pour monter en hauteur, et y aller progressivement. Je sauterai à 60 mètres uniquement si je me sens prêt, et que j’ai franchi les étapes nécessaires avant. Aujourd’hui, mon saut le plus haut est de 47 mètres, ce qui signifie 109,3 km d’impact, donc avant de monter à 60, il va d’abord falloir valider 50 mètres, puis 53 et 57. Sinon, il y aura une différence trop importante de vitesse, et j’entrerai dans une dimension qui est loin de que je maîtrise actuellement, ce qui réduira en conséquence mes chances de réussir sans me blesser. Et avant d’aborder de telles hauteurs, je vais refaire beaucoup de sauts à 30 mètres pour habituer mon corps.

Comment allez-vous préparer ce saut au niveau du terrain ?

On va essayer de trouver un spot à la bonne hauteur pour commencer. J’accorde beaucoup d’importance à l’aspect visuel, donc je veux que le spot soit beau, il doit me donner envie de sauter par rapport au paysage et au rendu vidéo qu’il pourrait y avoir. Ensuite, on va contrôler toutes les règles de sécurité, en allant notamment nager sous l’eau pour vérifier s’il y a suffisamment de fond. À partir de 6 mètres de fond, on peut sauter depuis n’importe quelle hauteur. En-dessous, c’est parfois possible mais ça demande des techniques spécifiques et de l’entraînement. Avec 6 mètres, on peut effleurer le fond mais à faible vitesse, donc il n’y a pas de risques de se blesser. Puis il faut aussi vérifier qu’il est bien possible de sortir de l’eau après le saut, pour ne pas rester bloqué bêtement.

Enfin, il faut se poser pas mal de questions : est-ce qu’on est capable de sauter à cette hauteur ? Même si on l’était hier, ce n’est pas forcément la réalité d’aujourd’hui… Est-ce qu’on est en bonne condition physique ? Faut-il sauter en longueur, parce qu’il y a une distance à passer pour atterrir dans l’eau ? La zone d’atterrissage est-elle vraiment large ? Le point d’impulsion est-il penché ou glissant ? Est-ce qu’on a de l’élan ? Est-ce que l’on veut faire un saut droit ou une figure ? Si c’est une figure, est-ce qu’on la maîtrise ? Il faut se poser toutes ces questions, être pragmatique et ne pas mettre sa fierté en jeu en voulant impressionner autour de soi. Quand je fais un saut, je pense bien sûr à si la vidéo va marcher ou pas sur les réseaux, ça fait partie du jeu. Mais je garde le plaisir comme priorité, et je ne saute que quand je me sens vraiment prêt à le faire.

“Ce n’est pas parce qu’on voit de la Formule 1 à la télévision qu’on va pour autant aller sur la route, pousser l’accélérateur à fond et faire du drift. Pour le cliff jumping c’est pareil.”

Concernant ces vidéos, ont-elles justement un objectif de prévention ? Des gens qui sautent visiblement au hasard et sans préparation, on en voit régulièrement…

Le cliff jumping se démocratise beaucoup, grâce aux vidéos sur les réseaux sociaux et parce que c’est un sport impressionnant. Mes vidéos durent quelques secondes, donc c’est le format idéal pour Instagram et TikTok. Tout le monde a déjà sauté d’un plongeoir à la piscine ou d’une petite falaise en vacances, donc les gens comprennent et ressentent le truc, et les vidéos peuvent leur donner envie de se challenger. En conséquence, je fais en ce moment pas mal d’apparitions dans les médias pour faire de la prévention, parce qu’il y a régulièrement des accidents. Mais dans 99% des cas, ce sont des amateurs qui ne pratiquent pas souvent ou pas du tout, qui regardent une vidéo et se lancent sans réfléchir aux conséquences. L’effet de groupe peut aussi amener quelqu’un à sauter d’une hauteur qu’il ne maîtrise pas. 

Il est donc important de faire de la prévention, mais il ne faut pas oublier qu’avec un peu de bon sens, on se rend vite compte que c’est dangereux, les règles de sécurité sont assez évidentes. Par exemple, récemment, ma belle famille était chez moi avec leur enfant de 6 ans. Il m’a demandé quel était mon saut le plus haut, et quand je lui ai répondu 47 mètres, il m’a immédiatement dit “ah ouais c’est haut !” Si un enfant de 6 ans est capable d’avoir cette réflexion, je pense que tout le monde peut, en réfléchissant 3 minutes, se souvenir qu’il faut prendre des précautions, et que l’eau devient du béton à une certaine hauteur !

Vous avez plus de 600 000 abonnés sur Instagram. Estimez-vous que cela vous ajoute une certaine responsabilité ?

Bien sûr, cela influe directement sur mon contenu ! Par exemple, si loupe un saut, je n’essaye jamais de le tourner en succès. Au contraire, je vais expliquer pourquoi j’ai échoué, ce qui peut servir à d’autres personnes si elles se retrouvent dans la même situation. Ça peut aussi leur permettre de ne pas se lancer, d’attendre et de se réentraîner avant de tenter un saut. En revanche, je me dédouane toujours à 100% de tout potentiel accident survenu parce qu’une personne a vu mes vidéos. À un moment donné on est tous libres, et encore une fois, avec un peu de bon sens, on sait que c’est dangereux. Celui qui se lance, c’est son choix, pas le mien. Ce n’est pas parce qu’on voit de la Formule 1 à la télévision qu’on va pour autant aller sur la route, pousser l’accélérateur à fond et faire du drift. Pour le cliff jumping c’est pareil, il y a des règles à suivre pour être en sécurité, au même titre qu’on a un code de la route à respecter pour conduire.

Réaliser un saut demande une concentration extrême. Au moment de sauter, pensez-vous à quelque chose de précis pour vous concentrer, ou au contraire cherchez-vous à faire le vide dans votre tête ?

J’essaie de rester dans ma bulle. Avant un saut, on a toujours peur. Dans mon cas, pas à 10 mètres bien sûr, sauf si le saut doit être très précis ou s’il y a un challenge. Par contre, avant un saut à 30 mètres, j’aurai toujours une petite peur, mais c’est aussi parce que je prends du plaisir à faire ça. C’est une peur qui me permet d’être concentré, pas une peur paralysante. D’ailleurs, si on n’a pas peur avant de faire quelque chose de dangereux, il faut commencer à se poser des questions, et c’est là que l’on fait des erreurs… Avant de sauter, je fais toujours un compte à rebours, et au moment où je le commence, je suis dans ma bulle. Le plan, je l’ai révisé avant de lancer le décompte, je sais ce que j’ai à faire, j’ai déjà visualisé le saut. Quand je lance le décompte, plus rien ne se passe autour de moi, je suis concentré sur ce que j’ai à faire. Tout se fait ensuite naturellement, et je n’ai plus qu’à profiter en l’air, à regarder le paysage, je vis le saut un peu au ralenti. Et quand l’eau commence à approcher, je mobilise mes forces pour garder mon corps tendu et gainer tout ce que je peux, notamment le fessier et les abdos pour éviter de me faire mal au dos. Je verrouille mes genoux, et je garde ce gainage une demi-seconde sous l’eau, le temps de décélérer. Puis je remonte, et c’est là que j’ai une petite montée d’adrénaline, quand le saut est réussi et que je peux taper dans la main de mon ami qui s’est chargé de la sécurité, ou de mes parents. Après, il n’y a plus qu’à regarder la vidéo et le rendu !

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