Charline Picon : « Je suis fière de ce que j’ai fait »

A 36 ans, Charline Picon est une héroïne du sport français. D’abord parce que la native de Royan en Charente-Maritime est devenue championne olympique en RS:X à Rio en 2016. Ensuite, parce que la véliplanchiste tricolore a donné naissance à sa fille en juillet 2017 avant de montrer à la France entière sa capacité à revenir au plus haut niveau. Au moment de préparer les Jeux Olympiques de Tokyo pour tenter de décrocher son deuxième titre olympique le jour du quatrième anniversaire de Lou, Charline Picon s’est confiée sur son parcours, sa passion pour la voile, son entourage et le prochain grand objectif de sa carrière : ramener à la maison une nouvelle médaille d’or olympique.

 

Comment avez-vous découvert la voile ?

J’ai débuté grâce à la voile scolaire qui est, en Charente-Maritime, quelque chose qui existe depuis longtemps dans beaucoup d’écoles. J’ai découvert ce sport en CM1 et CM2. J’avais essayé le basket-ball et l’athlétisme, mais ça n’avait duré qu’une saison à chaque fois. A la rentrée suivante, je me suis inscrite en club, mais il y avait déjà trop de monde en Optimist. Le club m’a proposé d’aller en planche.
 

Vos parents n’étaient pas issus de ce milieu…

Non, mon père et mon grand-père jouaient au rugby. Mes parents n’avaient pas de gros moyens. La voile, au départ, ça peut faire peur au niveau financier. Pratiquer la voile à l’école implique que le matériel est fourni, et cela rend donc accessible la voile au plus grand nombre.
 

Vous êtes championne olympique en RS:X. Comment définiriez-vous cette catégorie ?

C’est de la voile olympique, avec un départ tous en même temps et pour gagner, il faut couper la ligne d’arrivée en premier. Il y a de la tactique, il faut prendre en compte les changements de vent. Il faut un côté intuitif pour gérer le vent, ses adversaires, l’effort physique. Il y a de la technique, de la recherche de matériel pour être plus performant. Le côté physique est aussi important. C’est une belle discipline qui demande beaucoup de qualités.
 

Alors quelles qualités vous permettent de faire partie des meilleures au monde ?

Je fais partie des plus expérimentées. L’expérience permet de réussir à maîtriser énormément de situations et d’avoir les bons réflexes. On peut prendre moins de risques que lorsqu’on est jeune. J’ai de bonnes qualités de glisse que j’ai développées assez tôt. Et au niveau physique, ça tient plutôt bien.
 

 

« Je prends du plaisir à construire le chemin vers la médaille »

 

Votre discipline a-t-elle beaucoup évolué depuis vos débuts avec l’équipe de France en 2006 ?

La RS:X est arrivée en 2005. On est sur la dernière Olympiade avant le changement. Au début, quand un nouveau sport arrive, il y a des mauvais réglages. Au fur et à mesure, on arrive à faire progresser les techniques et les réglages. C’est en perpétuelle évolution.
 

Quel regard portez-vous sur votre carrière ?

J’ai eu des résultats chez les jeunes avant de franchir un grand palier en montant chez les séniors. Il m’a fallu du temps pour me faire une place. Le changement de support, de la Mistral à la RS:X, a été un bon point pour moi. J’ai pu entrer en équipe de France avec un top 8 mondial et je n’en suis jamais ressortie. J’ai commencé à faire des podiums internationaux avec le titre mondial en 2014 et la médaille d’or olympique en 2016. C’est une carrière progressive où j’ai réussi à allier le sport avec les études de kiné. Je suis fière de ce que j’ai fait.
 

A 36 ans, vous n’êtes toujours pas rassasiée de titres ?

Je prends vraiment plaisir à construire le chemin qui mène vers la médaille. Parfois, ça se joue à peu de choses, j’essaie d’être pointue. Quand on est compétitrice, le fait d’enchaîner de belles performances ne donne pas envie d’arrêter. Au contraire.
 

Ce seront vos troisièmes Jeux Olympiques. Que représente ce chiffre pour vous ?

Pas grand-chose. Je fonctionne objectif après objectif. Les premiers à Londres, j’envisageais une médaille et ils se sont mal passés. C’était un moment important dans ma carrière qui m’a permis d’aller chercher la médaille à Rio. Les deuxièmes représentent le graal. Tokyo est encore une autre aventure.
 

Quel souvenir gardez-vous de la médaille d’or à Rio en 2016 ?

Ce sont des moments tellement intenses et éphémères. Mais ce que j’ai préféré, ce sont les quelques secondes avant de passer la ligne. Cet instant où je sais que c’est gagné. Je peux alors libérer toute l’émotion présente depuis plusieurs jours. J’ai aussi pu partager ça avec mon entraîneur et ma famille sur la plage.
 

Qu’est-ce que ce succès a changé dans votre vie ?

Je suis assez contente que ce moment n’ait finalement pas changé les choses. Je suis restée la même. La voile reste un sport confidentiel. À La Rochelle, parfois, des gens me reconnaissent et c’est plutôt agréable.
 

« Il a fallu tout reconstruire pour revenir au plus haut niveau »

 

Qu’allez-vous chercher aux Jeux Olympiques de Tokyo ?

Une médaille ! La médaille d’or. Défendre mon titre ? Non, aller en chercher un deuxième. Le fait d’avoir eu une maternité pendant l’Olympiade ne me paraît pas compatible avec le fait d’aller défendre mon titre. Cela voudrait dire que je suis restée tout en haut, tout le temps. J’aborde ça différemment. C’est une autre Olympiade. Il a fallu tout reconstruire pour revenir au plus haut niveau. Je vais essayer d’aller reprendre cette place.
 

Les mots ont du sens parce qu’ils représentent votre état d’esprit actuel…

J’ai travaillé ça avec mon préparateur mental. Défendre, c’est être sur la défensive. Aller en chercher un autre, c’est être en mode attaque et guerrier.
 

Vous êtes devenue maman d’une petite fille. Était-ce important d’en parler pour dire que, bien sûr, c’était possible de mettre au monde un enfant pendant sa carrière sportive ?

Quand on est maman et athlète, dès qu’il y a un intérêt médiatique pour un résultat, on va nous parler de ça. Il n’y a rien à cacher. Au contraire, il faut dire aujourd’hui que c’est possible et si ça peut aider d’autres femmes à prendre la décision de ne pas attendre la fin de carrière, tant mieux. Je ne me suis pas posé la question de savoir s’il fallait en parler ou non. Cela fait partie de mon histoire.
 

Comment se sont passées ces dernières années entre votre vie familiale et votre carrière sportive ?

Au niveau de l’organisation, ce n’est pas simple (rires). Quand je n’étais pas encore sûre de repartir sur une Olympiade après la naissance de ma fille, mon conjoint m’a dit qu’il serait derrière moi quoi qu’il arrive. Lui, il est kiné, il bosse de 8h à 20h. Quand je ne suis pas là 15 jours par mois, ce n’est pas évident. Même pour ma fille, ce n’est pas toujours simple. En plus, elle est assez grande pour l’exprimer. Ce n’est pas toujours rigolo. Il faut du monde et du soutien autour, mais aussi bien organiser les choses.
 

Votre fille aura quatre ans, le jour de la Medal Race à Tokyo. Comprend-elle bien ce que vous faites ?

Oui, elle comprend que je pars en stage. Elle sait que mon travail est particulier mais c’est pour potentiellement aller lui chercher une médaille pour son anniversaire. La plus grosse des médailles. Il faut bien lui expliquer la raison pour laquelle je pars tout le temps.
 

 

« Je suis au centre de mon projet »

 

En quoi votre entourage est-il important dans le but de réaliser vos objectifs ?

Mon conjoint est là au quotidien et c’est un grand soutien. Mes parents ne m’ont jamais mis la pression mais ont toujours été là. Mon frère est un de mes premiers supporters. Toute la famille de mon conjoint s’est prise au jeu. C’est aussi important pour moi. A l’heure actuelle, j’ai trois partenaires d’entraînement, des jeunes de moins de 20 ans. C’est chouette de les emmener dans cette aventure pour pouvoir partager et transmettre. Mon préparateur mental me suit depuis un moment maintenant. J’ai deux préparateurs physiques dont Laurent Schmitt, qui assure aussi le suivi des skieurs de fond dans le Jura. Il gère mon état de forme et mon cardio. Je peux compter sur mes deux entraîneurs. Cédric Leroy qui était déjà mon coach pour Rio, et Julien Bontemps, médaillé à Pékin en RS:X. Pour la nutrition, il y a Hélène Defrance, médaillée à Rio en 470. Je suis aussi entourée par mon attachée de presse, la fédération, mes partenaires qui, pour certains, vivent une période compliquée mais restent à mes côtés.
 

Est-ce indispensable d’être autant entourée pour réussir à performer à haut niveau ?

Je suis au centre de mon projet, la fédération me suit. C’est important d’avoir des experts dans chaque domaine. Par exemple, quand mon entraîneur empiète sur le côté préparation mentale, ça me saoule parce que ce n’est pas son rôle.
 

Comment avez-vous vécu la médiatisation après votre médaille d’or à Rio ?

C’est sympa, ça flatte l’égo. Ça n’empêche pas que ma priorité était de ne pas me perdre et de rester moi-même. On peut prendre le melon mais ça ne m’intéresse pas. Le plus important, c’est de parler du sport féminin et faire découvrir mon sport pour donner envie aux jeunes d’en faire. Se dire que rien n’est impossible.
 

Vous avez aussi joué un rôle pour populariser le sport féminin…

Si un homme avait eu la médaille d’or dans ma discipline à Rio, aurait-il été plus médiatisé ? Je ne suis pas sûre. Je pratique un sport où les performances des femmes sont valorisées à juste titre. Je ne me sentais donc pas forcément concernée par ce différentiel hommes-femmes. Quand on regarde à plus large échelle, c’est flagrant. Si ma médiatisation peut aider à parler de sport féminin, c’est plutôt cool.

Propos recueillis par Loïc Feltrin