Rescapée des attentats du 13 novembre 2015, Catherine Bertrand est la vice-présidente de l’Association française des Victimes du Terrorisme. Elle est à l’initiative de l’événement sportif, commémoratif et caritatif 13-UNIS, programmé le 9 novembre à Saint-Denis et à Paris.
Catherine, l’événement 13-UNIS a lieu le 9 novembre. Quel est le point de départ de la naissance d’une telle idée ?
L’année dernière, au mois de mai, j’ai perdu un ami que je considérais comme mon grand frère. Il était dessinateur, il s’appelait Fred Dewilde. Lui aussi était un rescapé du Bataclan. Il s’est suicidé. À ce moment-là, je suis tombée extrêmement bas. Je n’ai pas réussi à gérer sa disparition, j’étais vraiment dans un sale état.
Et puis, les Jeux Olympiques sont arrivés. Depuis le Bataclan, j’ai des symptômes de stress post-traumatiques assez élevés. Je me suis donc mis en mode confinement, chez moi. Le jour de la cérémonie d’ouverture est arrivée, je l’ai regardée avec mon conjoint. Et là, je me suis complètement transformée. Je me suis retrouvée dans un autre état d’esprit, c’était vraiment une bouffée d’air frais. Je ne savais pas ce qu’on allait voir ce soir-là. Moi qui était au Bataclan, vous imaginez bien que je suis une grande fan de rock. Quand j’ai vu la scène avec Gojira et la chanteuse lyrique, j’étais aux anges. Je ne suis pas une grande fan d’Aya Nakamura, mais quand je l’ai vu chanter avec la Garde Républicaine, j’ai trouvé cela tellement beau. Tout était très surprenant et vivant.
Je suis illustratrice, ce que j’aime c’est faire des dessins sur des événements, des moments uniques. Pendant cette cérémonie, j’ai donc pris la décision de laisser une trace. J’ai voulu dessiner cette cérémonie d’ouverture. Cela a abouti sur une énorme illustration où j’ai regroupé tous les moments qu’il y a eu ce soir-là. C’était ma façon de remercier les organisateurs de cette cérémonie qui m’a sorti de mon état de peur.
Il y a un an la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques m’avait émerveillée. Un nouveau monde s’est ouvert à moi. Bravo et merci ?゚ルマ❤️ pic.twitter.com/k2On73Ih9T
— Catherine Bertrand \o/ ?゚メロ (@cathbertrand5) July 27, 2025
Ensuite, les Jeux Olympiques et Paralympiques ont débuté. Comment les avez-vous vécu ?
C’est un moment où je me suis rendu compte qu’on pouvait s’appuyer sur le sport pour être heureux. Je voyais des Français heureux d’être là, une fédération incroyable autour des athlètes. Ça m’a beaucoup inspiré, je suis très admirative de leur force et de leur mental. J’y ai trouvé une positivité et un optimiste, de l’espoir pour aller de l’avant. C’est ce qui me manquait. Ce sont ces athlètes des Jeux Olympiques et Paralympiques qui m’ont apporté cette bouffée d’air frais incroyable. Regarder leurs exploits m’ancrait dans le temps présent, j’oubliais temporairement mes malheurs. A tel point que ça m’a fait sortir de chez moi. Lors des Jeux Paralympiques, je suis allée assister à une épreuve toute seule. Je me suis retrouvée avec des gens incroyables. C’est un moment unique de ma vie.
Après les Jeux, cette dynamique positive s’est-elle poursuivie ?
C’est retombé comme un soufflet. Il y a eu une sorte de blues post-JO collectif terrible, je l’ai vraiment senti. Pour ma part, il y a eu un contre-coup qui n’a pas été facile à gérer. Mais, en même temps, une idée avait germé dans ma tête : celle que nous avions la responsabilité de continuer à faire des choses par le sport. Je me suis rendu compte à quel point le sport est important pour notre santé mentale. Nous avons cette responsabilité de suivre cette lancée sportive et de bien-être initiée par les Jeux de Paris.
Lors de cette rentrée de septembre 2024, nous avons donc commencé à nous réunir avec les associations de victimes pour savoir ce qu’on allait faire pour commémorer les 10 ans des attentats du 13 novembre. Certaines associations voulaient s’orienter vers des formats types colloques et tables rondes. Je me suis dit qu’il fallait qu’on aille plus loin, qu’il était nécessaire de nous appuyer sur le sport pour cette commémoration. C’était une évidence pour moi.
Ensuite est venue l’idée d’un parcours sportif qui permet de se rappeler des différents lieux touchés par ces attentats. Dix ans après, beaucoup n’évoquent que le Bataclan, mais ce sont plusieurs lieux qui ont été touchés : les terrasses, le Stade de France… tout cela a été oublié. C’est notre devoir, au sein de l’association, de porter le devoir de mémoire.
Ce devoir de mémoire va prendre la forme d’une course et d’une marche le 9 novembre. Quel est le concept exactement ?
Nous aurons la Course de la Liberté qui s’élancera depuis le Stade de France. Nous passerons ensuite devant différents lieux ayant vécus ces attentats : le restaurant Le Petit Cambodge et le bistrot Le Carillon, la brasserie Café Bonne Bière et le restaurant Casa Nostra, la salle du Bataclan, le bar La Belle Équipe et le bistrot-restaurant Comptoir Voltaire. Ces lieux ont été victimes des attentats, mais ne sont pas cimetières pour autant. Ce sont des lieux de vie depuis 10 ans. Visiter ces lieux, s’y arrêter, c’est perpétuer notre devoir de mémoire en hommage aux victimes qui sont tombées. Depuis 10 ans, les officiels effectuent ce parcours pour commémorer et rendre hommage aux victimes. Je trouvais important de pouvoir permettre aux citoyens de participer à ce moment-là par l’intermédiaire du sport. Car tout le monde est concerné, tout le monde a son souvenir du 13 novembre.
Lors de cette journée, nous aurons aussi la Marche de l’Egalité qui s’élancera en début d’après-midi depuis la Place de la République. Chacun sera libre de s’arrêter sur les lieux de mémoire. Sur ces zones mémorielles, nous mettons trois choses en place. La première, c’est la musique. Au Bataclan notamment, c’est la musique qui a été attaquée ce soir-là. Ce sont nos libertés qui ont été attaquées. Nous aurons aussi des photos proposées sur ces lieux, pour transmettre aux jeunes générations, leur permettre de comprendre ce qu’il s’est passé. Nous avons travaillé avec les archives de la Ville de Paris sur ce sujet. Enfin, nous mettons en place des ateliers artistiques avec une œuvre participative de l’artiste Olivier Terral, qui travaille sur les empreintes de doigts. Chaque participant pourra mettre de la peinture sur son pouce et laisser l’empreinte de sa participation sur une toile. La Course de la Liberté et la Marche de l’Egalité arriveront sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris, avec, sur place, le Village de la Fraternité.
De votre côté, comment allez-vous prendre part à cet événement ? Et surtout, qu’en attendez-vous sur un plan personnel ?
Je vais prendre la parole au départ de la course, au Stade de France. On va motiver les troupes, ça va être un moment fort, rempli d’émotions. Mais l’idée n’est pas de faire pleurer dans les chaumières, au contraire. On est là pour du positif. Je vais participer à la Marche de l’Egalité avec mes amis et les membres d’associations. Ensemble, on va passer un moment unique.
Personnellement, c’est important pour moi d’ouvrir les commémorations aux Français. Quand je parle aux gens, tout le monde me raconte son 13 novembre, même les gens qui n’ont pas été directement impliqués. Tout le monde est concerné par les attentats, de près ou de loin. Je m’en suis rendu compte avec le temps. Il était donc important d’ouvrir les commémorations à chaque citoyen qui le souhaite. C’est aussi pour ça que je me suis appuyée sur le sport, pour les inviter à commémorer autrement.
Les inscriptions à 13-UNIS sont ouvertes jusqu’au 6 novembre sur https://www.13-unis.org/
Les fonds récoltés lors de chaque inscriptions iront à l’Association française des Victimes du Terrorisme et serviront à accompagner les victimes et leurs familles dans leur parcours de reconnaissance, de justice, de mémoire et de reconstruction.
