Antoine Hays : « Considérer le para-judo comme une entité concrète »

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Antoine Hays, directeur du secteur para-judo à la Fédération Française de Judo, revient sur la dynamique du para-judo ainsi que sur les axes de développement à moins de deux ans des Jeux olympiques et paralympiques.

Quelle est la dynamique du para-judo à deux ans des Jeux paralympiques de Paris 2024 ?

J’ai repris le secteur en février dernier, donc après les Jeux de Tokyo, en fin d’année 2021. Il y avait trois para-judokas pour les Jeux de Tokyo (Sandrine Martinet, Hélios Latchoumanaya et Nathan Petit, ndlr.) et là, nous allons aux championnats du monde au mois de novembre à Bakou, en Azerbaïdjan, où nous avons 14 athlètes sélectionnés. Avec le Covid, c’était une dynamique qui était surtout sportive et non pas trop sur le développement. A désormais deux ans des Jeux de Paris 2024, on a la possibilité d’avoir seize catégories de qualifiés. Tout a changé au niveau international. Cela concerne les catégories de poids et les classifications visuelles. Ce qui fait qu’à deux ans des Jeux, c’est à la fois tôt et tard pour pouvoir relancer une dynamique et construire quelque chose.

Vous venez d’évoquer les classifications. Qu’est-ce que cela change ?

On subit énormément les changements de la règlementation internationale. En janvier, on a appris les nouvelles classifications. Maintenant, les combattants sont séparés : les non-voyants d’un côté et les malvoyants de l’autre. Il y a eu des catégories de poids qui ont été modifiées, ce qui fait qu’on a fait quatre Grands Prix avec ces nouvelles catégories de poids. On se rend compte qu’il y a énormément de changements. Les classifications sont faites à chaque compétition. Ce qui fait qu’on n’a pas du tout les mêmes athlètes dans les catégories. Chez les garçons, les catégories présentes sont -60kg, -73kg, -90kg et +90kg. Cela a eu pour conséquences que certains athlètes évoluenti dans la catégorie supérieure ou inférieure. Certains étaient justes au niveau visuel et n’ont pas pu passer. Plusieurs médaillés paralympiques ne pourront pas prendre part aux Mondiaux de Bakou en raison de ces classifications. Dans nos rangs, nous aussi, nous comptons un Français qui n’est plus classifiable au niveau mondial.

Quelles sont les ambitions de la France à Bakou ?

Ce que l’on veut, c’est que les cinq médaillés européens, avec Hélios et Sandrine en chef de file, puissent confirmer au niveau mondial. On attend de voir qui sera classifié, dans quelle catégorie de poids et de vision. On part un peu à l’aveugle dans cette compétition. On essaye de continuer sur la bonne dynamique des Europe. Après, on a aussi l’obligation de qualifier les catégories pour les Jeux de Paris. Ce n’est ni obligatoire, ni automatique de disposer de catégories ouvertes pour le pays hôte, donc on envoie du monde aussi pour ça, pour s’assurer que neuf catégories seront ouvertes a minima pour les Jeux paralympiques. Ensuite, les tournois pour les sélections seront déterminés. Mais dans un premier temps, l’objectif est d’ouvrir les catégories de poids.

« S’imposer comme une fédération innovante »

Quelles sont les actions mises en place pour valoriser le para judo ?

La journée paralympique du 8 octobre est un bon exemple pour promouvoir le para-judo. Hélios (Latchoumanaya), Nasser (Zardigo), Nathan (Petit) et Sandrine (Martinet) étaient présents sur la scène centrale pour une démonstration avec Artus, devant 2 000 à 3 000 personnes. A la suite de cette présentation, les spectateurs nous ont énormément sollicité sur le stand de la FF Judo afin d’en savoir plus sur le para-judo. Ce sont des moments comme celui-ci, avec le soutien de Paris 2024, du Comité paralympique et de l’Agence Nationale du Sport (ANS) qui vont nous permettre de promouvoir le para-judo. Depuis le 1er septembre, 7 régions ont fait le choix d’embaucher des cadres techniques fédéraux spécifiques sur le para-judo. Certains sont à mi-temps et d’autres à plein temps. Leur mission, c’est de se rapprocher des fédérations délégataires comme la Fédération Française de Sport Adapté, puis des clubs et d’être vraiment au plus près en rencontrant tous les acteurs locaux pour pouvoir développer la pratique dans les centres, dans les instituts spécifiques, que ce soit pour les jeunes déficients visuels ou les jeunes sourds. Le développement de la pratique ainsi que de la haute performance font partie de nos enjeux.

De plus, la Fédération française de judo met tout en œuvre pour que tous nos athlètes, qui ont une licence para-judo, puissent être complètement inclus dans les clubs. Plein d’actions sont menées au niveau des clubs, au niveau social. Notre objectif est de s’imposer comme une fédération innovante à ce niveau-là. On pourra proposer des choses, que ce soit dans les quartiers, dans les instituts spécifiques, en mettant en avant les bienfaits de ces activités sportives. On a un autre aspect sur lequel on va s’appuyer : la formation et la sensibilisation des professeurs sur le para-judo. Ce sont les gros axes de travail. On a un secteur vraiment transversal, mais on va toucher tout le monde, toutes les parties de la fédération, que ce soit sur l’arbitrage, sur la formation des professeurs, sur la formation des dirigeants, sur la communication, sur la recherche de partenaires, de mécènes.

Des régions s’investissent-elles dans le para-judo ?

L’Île-de-France est la première région à avoir mis en place le dispositif de cadre technique spécifique para-judo. Roger Vachon, président de la Ligue Île-de-France de Judo, est très sensible au para-judo. et on sait en plus que l’Île-de-France sera vraiment la première ligue qui va être touchée par les Jeux. Lucie Dupin est l’une des premières cadres techniques spécialisées dans le para-judo. Elle va commencer les cours à l’Institut des jeunes aveugles à Paris. On renforce les équipes et les collaborations, c’est chouette. Je suis satisfait de collaborer avec la Ligue Île-de-France, car nous avons énormément de choses à mettre en place ensemble. C’est une ligue sur laquelle on va vraiment s’appuyer. Lucie Dupin va mettre en place plein de plans d’actions. Des événements seront prévus. Peut-être organiser aussi une Coupe Technique Régionale à Paris ou des manifestations en Essonne, où un jeune non-voyant est récemment arrivé au Pôle à Brétigny.

« Le PRISME est un outil très intéressant car on touchera un autre public »

La première pierre du PRISME a été posée le 7 octobre, ce qui va par conséquent être un formidable outil pour le parasport…

C’est un outil très intéressant parce qu’on touchera un autre public, puisqu’il sera destiné aux personnes à mobilité réduite ou atteintes d’un handicap physique. Mais pour nous, c’est aussi intéressant puisqu’on amène encore plus le bienfait du judo qu’on peut pratiquer aussi au sol. Nous sommes ravis, car cet outil amène plein d’aspects pour l’avenir.

On constate un sacré engouement autour du handisport avec notamment les nombreux trophées olympiques remportés…

Tout à fait. Pour avoir pris part aux Jeux paralympiques en 2004, peu de monde suivait cet événement. Il y a eu un peu plus de spectateurs en 2008. La prise de conscience a eu lieu à Londres, lors de l’année 2012. France Télévisions prend vraiment les choses à cœur. Des journées comme on a vécu le 8 octobre, c’était super et on retrouve vraiment l’esprit paralympique. Et oui, ça promet vraiment une belle ambiance. Ce qui me plaît énormément, c’est justement le sourire qu’il y a partout, que ce soit sur les personnes valides qui découvrent ou des personnes en fauteuil qui vont montrer comment faire de l’escrime en fauteuil ou au judo. Les personnes présentes étaient enchantées. Pareil pour Amélie Oudéa-Castéra (Ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques). Elle est venue faire du judo, elle a été emballée. Elle a même révélé à ses conseillers qu’elle avait adoré le para-judo. Elle chutait avec un jeune atteint de trisomie, qui lui a fait une prise de judo. Ce sont des moments comme ça qui sont vraiment sympas. Pour avoir assisté aux deux, les paralympiques, c’est une autre ambiance. On est sur la performance, mais il y a le côté humain qui ressort davantage.

Existe t-il des activités de sensibilisation de prévues ?

Ça se fait dans toutes les régions. Beaucoup de régions, beaucoup de clubs, de départements qui mettent en place, lors de galas, des animations spécifiques. Nous organisons aussi l’Itinéraire des Champions chaque année. Cet événement se rend dans une vingtaine de villes pour promouvoir le judo. Au niveau fédéral, on a ces actions-là et on y développe au fur et à mesure, tout le temps. Là, on a une formation pour les professeurs avec des publics, on se déplace aussi beaucoup dans les instituts.

Quels seront les objectifs de la FF judo pour les prochaines années ?

Développer encore plus le para-judo. Que ce que l’on a fait en six mois puisse vraiment rentrer dans les esprits. Que le para-judo soit vraiment une entité concrète, pleine et entière au niveau du judo, qu’il y ait plus de monde, forcément plus de participants aux championnats de France, plus de partenaires, plus de visibilité. C’est ce que l’on souhaite. Tous les comités paralympiques et tous les para sports réclament que l’on voit davantage les para-athlètes comme des athlètes à part entière et comme des personnes à part entière qui pratiquent un sport. Mais que tout le monde puisse s’épanouir en faisant du judo ou une autre activité. On considère souvent que le handicap aussi, ce sont les personnes en fauteuil, alors que nous, au judo, on a beaucoup de malvoyants, de malentendants, de sourds. Ça, ce sont des handicaps invisibles.