Alexandre Lloveras : « Je me suis dit :  » quand même, t’es au Palais de l’Élysée !  » »

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Il s’est mis au vélo il y a 3 ans seulement et le projet d’une qualification aux Jeux paralympiques avec l’ancien pro Corentin Ermenault a débuté en novembre 2020. Résultat : le duo est revenu de Tokyo en or et en bronze ! En 3e année d’école de kiné – « je serai diplômé en 2025 » – le Lyonnais, licencié au Tandem Club Rhodanien (Lyon 6e), nous raconte son aventure hors du commun et ses projets.  

Comment êtes-vous passé au cyclisme alors que vous étiez athlète de haut niveau en athlétisme ?
C’est surtout une histoire de blessures : j’ai enchaîné les pépins physiques quand j’étais au Pôle France d’athlétisme durant presque trois ans compliqués. J’ai eu des fractures de fatigue, des blessures au pied, des inflammations sous l’orteil. Mentalement, ce n’était pas facile. J’ai découvert le vélo en 2018, j’ai eu l’occasion de participer à un stage avec le Pôle Espoirs de cyclisme handisport. La première fois que j’ai roulé en tandem route, c’était avec Dorian Foulon, également médaillé d’or lors des Jeux paralympiques. Donc l’histoire est belle (rires).

Qu’est-ce qui vous a plu dans le vélo ?
J’ai directement accroché. L’athlé, on restait tout le temps dans le stade et même quand on bougeait on voyait uniquement le stade et l’hôtel. Au contraire, à vélo, on découvre plein de choses, c’est vraiment un beau sport. En plus, j’ai de meilleures prédispositions qu’en course à pied, je partais d’un niveau de base supérieur en vélo ce qui m’a facilité les choses pour progresser rapidement. J’ai commencé en janvier 2019 à être entraîné par Mathieu Jeanne, lequel est également le coach de Corentin Ermenault et c’est comme ça qu’on a été mis en relation l’hiver dernier pour monter le projet dans l’optique des Jeux paralympiques. Il y a deux ans, Coco ne voulait plus entendre parler de vélo, dégoûté du cyclisme pro après un burn-out. Il avait envie de se relancer sur la piste pour préparer Paris 2024. On a directement accroché et ce fut une super aventure qui s’est bien terminée.

Cela veut dire que si les Jeux avaient lieu comme prévu l’an dernier, il n’aurait pas été question d’y participer.
C’est ça, ce n’était pas dans l’objectif de base. Mais quand on a vu le report, ce qui n’était pas possible en 2020 devenait intéressant pour 2021. Le projet est parti le 27 novembre par quelques tours de piste ensemble. Corentin a testé le tandem car il n’en avait jamais fait ! Moi, j’en avais fait beaucoup pendant 3 ans mais jamais avec un pilote de ce niveau-là. Passée la petite appréhension du début, ça s’est très bien passé. Pour la petite anecdote, on a zéro chute au compteur sur toute la saison (rires)

Zéro chute au compteur et surtout deux médailles autour du cou !
Et même peut-être trois puisqu’on est dans l’attente d’un éventuel déclassement, sur l’épreuve de poursuite, des cyclistes polonais qui ont été testés positifs à l’EPO. On en saura peut-plus dans quelques semaines. La poursuite (sur 4 km), c’était notre première épreuve, ce qu’on avait le plus préparé. On avait tout misé sur ça. Deux jours avant, on tournait vite et le jour J on s’est plantés, on a pris une grosse claque, on termine 4e assez loin du temps qu’on visait (à 5 secondes). C’était très dur à encaisser.

Comment vous avez rebondi ?
Pendant trois jours, on était sous l’eau. Coco, qui est assez actif sur les réseaux sociaux, a complètement coupé. Et puis, avec les médailles d’or du reste de la délégation, on a commencé à refaire surface et à se remobiliser pour le chrono. Ce n’était pas notre spécialité mais on y est allé avec de l’envie. On a dit au staff qu’on ne visait rien et qu’on verrait sans se prendre la tête pour s’enlever de la pression. Dès les premiers kilomètres, on avait de l’avance alors qu’on n’était pas partis très fort. Sur le dernier tour, les Néerlandais reviennent, on a un dernier écart avec 25 secondes d’avance mais notre directeur sportif (Laurent Thirionnet) dans la voiture derrière nous nous poussait, c’était énorme.

Vous remportez cette première médaille puis vous enchaînez avec une deuxième.
Voilà, dans la course en ligne, les Néerlandais étaient au-dessus devant, on était contents de cette 3e place. On y est allés vraiment libérés avec l’envie de se faire plaisir et on a bien profité.

Quel regard jetez-vous sur votre parcours alors que vous avez commencé le vélo il y à trois ans ?
J’ai du mal à réaliser. C’est une phrase bateau que tous les champions olympiques et paralympiques disent mais c’est vrai. C’est le rêve d’une carrière. On travaille à fond depuis plusieurs années pour ça. Le fait d’y arriver, on se sent beaucoup plus léger, libéré. On a réussi l’objectif d’une carrière. J’ai commencé à réaliser ce qu’on avait fait lors de la cérémonie à l’Élysée (le 13 septembre). Je me suis dit : « quand même, t’es au Palais de l’Élysée avec tous les athlètes médaillés. Tu vas être fait Chevalier de la Légion d’honneur, ce n’est pas rien.

Comment avez-vous vécu ce moment ?
C’était vraiment impressionnant. On a d’abord eu le discours présidentiel pour nous remobiliser pour Paris 2024 et ensuite la remise des décorations par ordre alphabétique. On sentait petit à petit la pression monter, c’était assez fort. C’était un bon moment.

La pression pour 2024 aussi ?
Oui, il (Emmanuel Macron) nous l’a mise un petit peu ! Maintenant, il faut repartir pour 2024. Cela va être un nouveau projet puisque Coco va retenter l’aventure en individuel pour Paris avec l’équipe de France de poursuite. Il ne repasse pas pro mais il a repris goût au vélo. Je le soutiens à fond dans son choix : être médaillé à la fois sur les Jeux paralympiques et sur les Jeux olympiques, surtout dans ce sens, c’est un sacré défi.

Et vous, après l’athlétisme et le cyclisme, il n’y a pas un risque que vous vous penchiez sur un autre sport ?
Non, non (rires). Pourquoi pas le triathlon mais non, je n’ai pas assez de bras (sic) ! Je dis ça parce que mon frère aîné, également déficient visuel (il a la même pathologie que moi) s’est mis au triathlon il y a un peu plus d’un an et vise une qualification aux Jeux. Faire Paris 2024 tous les deux, ce serait beau. Moi, j’ai pratiqué l’équitation, j’ai même participé aux championnats de France de saut d’obstacles chez les valides quand j’étais jeune. Je skie également tous les hivers. Mais pour les Jeux, je vais rester sur le vélo. Avec mon coach, on va donc chercher un nouveau pilote et on va remonter un nouveau projet. On aura un peu plus de temps, presque 3 ans au lieu de seulement quelques mois. Ces Jeux nous ont permis d’accumuler beaucoup d’expérience, de tirer des enseignements sur les secteurs de progression, sur le matériel aussi. En tandem, c’est un paramètre important.

En attendant, vous allez souffler un peu ?
Je pars 5 semaines en stage de kiné en Guadeloupe le 30 octobre et d’ici là le timing est serré entre les réceptions, les cours qu’il faut reprendre. J’ai aussi été invité à donner samedi prochain le coup d’envoi d’un match des Lions du LHC (le club lyonnais de hockey-sur-glace). Je n’ai jamais assisté à un match de hockey-sur-glace. Même si c’est chargé, on essaie de profiter de cette vague médiatique. Surtout en paralympique, on ne vit pas ça tous les jours…

Propos recueillis par Sylvain Lartaud