Alexandra Recchia : « Les JO ont toujours été dans un coin de ma tête »

Avocate en droit du travail et karatéka de haut niveau, Alexandra Recchia a vécu une intense année 2020. Entre parcours sportif chamboulé et reprise de son activité professionnelle, la native de Lyon garde l’espoir d’être présente aux prochains Jeux Olympiques de Tokyo. Ce serait pour elle l’aboutissement d’une immense carrière.

 
Comment avez-vous vécu l’année 2020 du point de vue sportif ?
L’année 2020 a été très bizarre. Je l’ai commencée alors que j’étais dans une période pas évidente sur le plan mental. J’avais du mal à retrouver mon caractère de compétitrice, à prendre le dessus sur les peurs et les doutes que je pouvais avoir concernant mes objectifs. Finalement, j’ai réglé ces problèmes en début d’année grâce à un programme de préparation mentale inédit. Derrière, j’ai pu retrouver le chemin des podiums. Je me suis dit que c’était reparti, mais le confinement est arrivé. Ça a forcément été un gros coup d’arrêt dans la préparation pour le tournoi de qualification olympique.
 
S’entraîner en confinement, sans adversaire, qu’est-ce que ça donne ?
J’ai très bien vécu le premier confinement. Je me suis entraînée huit à neuf fois par semaine. J’ai tenu à maintenir un gros rythme d’entraînement afin d’être prête pour la reprise potentielle des échéances avant l’été. La préparation mentale que j’avais entamée s’est poursuivie durant ce confinement, cela m’a aussi permis d’appréhender de façon positive cette période assez particulière. J’ai tenu à garder mon objectif en tête avant tout et je suis resté mobilisée. Concernant l’entraînement, j’avais trois séances par semaine via Skype avec mes entraîneurs. J’ai été fournie en tatami, donc j’ai pu l’installer sur ma terrasse afin de m’entraîner. À l’aide d’un pot de fleurs et d’un abat-jour, mon compagnon m’a construit un partenaire d’entraînement improvisé (rires), mais qui m’a été très utile. Je me suis principalement focalisée sur le travail technique, le travail de réaction basée sur l’aspect sonore, mais aussi le travail foncier.
 

« Depuis un mois, ma vie a été complètement chamboulée »


Dans quelle forme et quelle condition abordez-vous ce début d’année 2021 ?
Depuis un mois, ma vie a été complètement chamboulée. J’ai repris mon activité professionnelle à plein temps dans un cabinet d’avocats. Forcément, en travaillant à plein temps, j’ai été contrainte d’alléger les entraînements. Je ne m’entraîne plus que deux fois par semaine en spécifique, je fais également deux séances de cardio et une séance de musculation. C’est un entraînement que je maintiens même si nous sommes en stand-by, je ne sais pas du tout quand nous allons pouvoir reprendre les compétitions. Je n’ai aucune idée de comment va se dérouler ce début d’année 2021. J’attends et je me maintiens dans l’espoir de pouvoir participer au tournoi de qualification olympique.
 
Vous êtes donc avocate et sportive de haut niveau. Comment conciliez-vous ces deux vies ?
Cette incertitude, le fait de ne pas savoir si nous aurons les Jeux Olympiques, si je pourrai me qualifier pour cette échéance, cette possibilité que tout soit remis en cause, cela m’a poussé à reprendre mon activité professionnelle à temps plein. Financièrement aussi, c’était une nécessité. Il fallait absolument que je reprenne mon activité, pour moi, pour avoir un objectif sur lequel me fixer, car je fonctionne comme ça. Être dans l’incertitude depuis plus de neuf mois commençait à me peser. Pour le moment, je dois bien avouer que le sport n’est pas ma principale préoccupation. Il m’est impossible de me projeter sur ce qui nous attend en 2021. Est-ce que tout va bouger ? Est-ce que tout va rester pareil ? Je ne peux pas me prononcer. Nous aurons, en principe, le tournoi de qualification olympique au mois de juin prochain à Paris. Être présente dans la meilleure condition pour ce rendez-vous est mon objectif. C’est presque même plus simple pour moi d’avoir une seule échéance en tête. C’est plus facile que d’aller toutes les trois semaines sur des tournois. Cela ne me permettait pas de reprendre mon activité professionnelle, or avec le TQO en ligne de mire, je sais que je peux exercer mon métier d’avocate tout en ayant encore du temps pour la préparation.
 

« Je serais peut-être un peu trop prétentieuse de ne me contenter que de la médaille d’or »

Si le TQO se déroule effectivement à Paris, est-ce un plus dans votre route vers Tokyo ?
J’ai eu la chance de faire partie de la génération qui a connu les championnats du monde à Paris. Je suis devenue double championne du monde cette année-là, j’ai donc pu constater que la mobilisation française était importante et a joué un rôle crucial. Évoluer à domicile, devant son public, c’est galvanisant pour l’athlète. Personnellement je sais que ça a joué un rôle très important lors de ces championnats du monde. Avoir un TQO à Paris, c’est forcément un petit plus pour moi, je vois ça comme un signe positif.
 
Ces Jeux Olympiques de Tokyo, que représentent-ils pour vous ?
En 2016, je voulais arrêter à l’issue des championnats du monde. Mais à ce moment-là, j’apprends que le karaté sera présent aux Jeux Olympiques de Tokyo. Je me dis alors qu’il est impossible de m’arrêter. Je suis toujours présente et toujours performante. Les Jeux Olympiques ont toujours été dans un coin de ma tête depuis que je suis entré en équipe de France. Avoir enfin cette opportunité en ligne de mire, c’est quelque chose d’extraordinaire. Si je parviens à participer à ces JO, ce sera l’aboutissement de ma carrière et une conclusion parfaite.
 
Si vous allez à Tokyo, seule la médaille d’or pourra-t-elle vous satisfaire ?
En toute honnêteté, au regard de la complexité du parcours de qualification, je pense que je serais peut-être un peu trop prétentieuse de ne me contenter que de la médaille d’or. Aujourd’hui, n’importe quelle médaille, je prends. Je trouve que la situation actuelle et tout ce qui s’est passé durant l’année 2020 nous ramènent à notre condition d’humain. Il faut savoir savourer chaque victoire et chaque médaille. Être présente, participer à ces Jeux Olympiques serait déjà quelque chose d’assez merveilleux. L’opportunité de représenter son pays est ce dont rêvent tous les sportifs.
 

« En cas de qualification pour les JO, cette compétition sera ma dernière »


Avec cette présence aux JO, une nouvelle dynamique est-elle amorcée pour le karaté français ?
Tous les jeunes qui émergent ont les Jeux Olympiques en tête. Pour eux, ce ne sont pas les championnats du monde ou les championnats d’Europe, ce sont les Jeux Olympiques. Pour ma génération, l’objectif principal était forcément les championnats du monde puisque nous n’avions pas les JO. Le fait que le karaté soit présent est une motivation supplémentaire pour la nouvelle génération, c’est indéniable.
 
Ce rendez-vous olympique sera-t-il le dernier de votre carrière ?
C’est une bonne question… En cas de qualification pour les Jeux Olympiques, il est certain que cette compétition sera ma dernière. Si je ne parviens pas à me qualifier pour Tokyo, je ne sais pas. Peut-être que j’aimerais participer à un championnat d’Europe ou un championnat du monde pour terminer ma carrière. Cela pourrait venir compenser ma non-participation aux Jeux. Mais j’espère tout de même être de la partie à Tokyo (rires).

Olivier Navarranne